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                                     La Vérité sortant du puits. Tableau de Jean-Léon Gérôme   

 

 55% des citoyennes et citoyens français avaient dit Non le 29 mai 2005 au référendum sur la proposition d'une Constitution pour l'Union Européenne. Le verdict fut clair. Les forces de gauche appelaient à voter NON. La droite classique et la social-démocratie appelaient à voter Oui. Le peuple vota Non. La bourgeoisie vota Oui. Un exemple : les départements métropolitains de Seine-Saint-Denis (Oui 38,48 % et Non 61,52 %) et des Hauts-de-Seine (Oui 61,91 % et Non 38,09 %).   

La victoire du Non est d'abord celle des classes actives. Par catégorie d'âge, le Non est majoritaire dans toutes les tranches jusqu'à 60 ans : 56% chez 18-24 ans, 55% chez les 25-34 ans, plus de 60% entre 35 et 60 ans. Le Oui ne devient majoritaire que chez les électeurs plus âgés (56% dans la catégorie 60-69 ans, 58% chez les 70 ans et plus). En terme de statut, le Non a été largement choisi par les salariés, du privé (56%) et encore plus nettement du public (64%). Très largement porté par les travailleurs indépendants (58%) et les chômeurs (71%), il n'est minoritaire que chez les étudiants (46%, 54% pour le Oui) et chez les retraités (44% contre 56% au Oui).

 Déjà fort en 1992 (référendum sur le traité de Maastricht) dans les classes les moins favorisées, le Non s'est encore raffermi : 79% chez les ouvriers (contre 61% en 1992, + 18 points) et 67% chez les employés (+14). Le Non est surtout devenu majoritaire en 2005 au sein des classes moyennes, avec une progression de 19 points chez les professions intermédiaires (53%, contre 38% pour le traité de Maastricht).

Le constat est identique si l'on s'attarde à la répartition du vote par catégorie de revenu : le Non est largement majoritaire dans toutes les tranches, sauf la plus aisée : 60% dans les foyers dont le revenu net mensuel est inférieur à 1000€, 65% dans la catégorie 1000-2000€, 58% entre 2000 et 3000€, contre 37% (63% pour le Oui) dans les foyers dont le revenu mensuel est supérieur à 3000€.  

Le vote fut donc incontestablement un vote de classe et il indique combien la constitution d'un vaste front populaire possède sur ce terrain-là une base de masse. D'autant que l'extrême-droite qui entretenait à l'époque une illusoire position anti-UE en appelant à voter Non, a aujourd'hui rejoint la cohorte européiste. Marine Le Pen et Mattéo Salvini n'ont-ils pas dit l'un et l'autre "C'est nous autres, ensemble, représentants des différents peuples en Europe, qui structurerons la force politique qui vise à sauver l'Europe."

On le sait le PS et la droite commirent une forfaiture en violant la volonté du souverain peuple. Et en adoptant les dispositions contenues dans le projet rejeté par les Français sous la forme du traité de Lisbonne.  

En fait l'UE et les partis européistes démontraient leur caractère profondément et cyniquement anti-démocratique. Merkel déclare avec franchise " La substance de la Constitution est maintenue. C’est un fait. "En n’appelant pas ce traité une Constitution, ce qu’il y a de bien, c’est que personne ne pourra demander un référendum" déclare Amato, cadre dirigeant du PD italien et l'inénarrable Juncker d'ajouter "La substance du traité constitutionnel a été préservée du point de vue du Luxembourg… Bien entendu, il y aura des transferts de souveraineté. Mais serais-je intelligent d’attirer l’attention du public sur ce fait?".

Comme le dira Junker devenu président de la Commission européenne à propos de la Grèce "Il ne peut pas y avoir de choix démocratique contre les traités européens".

Jean Quatremer, journaliste et propagandiste fanatique de l'UE, prit la défense de Juncker de façon finalement assez cohérente : "Mais attention, il n’y a pas de moyen terme : soit un pays respecte l’ensemble des traités qu’il a signés, soit il s’en va. C’est notamment le cas des pays qui ont adopté l’euro, comme l’a rappelé Jean-Claude Juncker : on ne peut pas sortir de l’euro sans sortir de l’Union." La gauche doit dire : chiche !

Quelle leçon pour ceux qui croient malin de tenter de ménager la chèvre et le choux ! L'archétype de cette attitude politique fut Tsipras. La leçon grecque est d'une limpidité absolue : sans être décidé à affronter la crise avec l'oligarchie capitaliste supranationale, dont l'UE est l'arme de destruction massive de nos conquêtes sociales, donc sans envisager la sortie et surtout mobiliser autour de cette perspective de larges masses, les forces progressistes auront le même sort que Tsipras. L'incompatibilité absolue, par nature de classe, de l'appartenance à l'UE et d'une politique de progrès social et de respect de la souveraineté des peuples, doit être dite et répétée. Car nous nous heurtons à des années d'une propagande inouïe, dotée de moyens immenses, qui tente contre les faits de faire croire que l'UE est un projet de fraternité et de paix alors qu'il est exactement le contraire.

Il faut insister sur un point : briser cet appareil politique de domination capitaliste ne signifie aucun enfermement nationaliste. Aucun mur de Berlin ne s'abattra sur l'Europe si les peuples choisissent de coopérer librement entre eux plutôt que de subir le joug du grand capital qui nie la démocratie et nous prive non seulement de nos droits mais désormais de nos vies. Répétons-le: le travail est patriote et internationaliste, le capital nationaliste et supranationaliste.

Notre atout, qui a abouti à la victoire du Non alors que 95% de la presse et des médias faisaient campagne pour le Oui, ce sont les faits. C'est sur eux qu'il faut s'appuyer pour dénoncer le tsunami anti-social et anti-démocratique qu'impose l'UE. C'est le quotidien des femmes et des hommes du peuple qui sont le rempart de la vérité. La gauche doit écouter le peuple. Et répondre à ses exigences : on a vu en Grande-Bretagne ce qu'a coûté à la gauche travailliste d'être sourde aux souffrances et aux espérances du peuple travailleur. La plus grande défaite électorale de son histoire. On a vu en France, aux Européennes, combien le discours petit-bourgeois de la FI sur la question européenne (très en retrait par rapport à celui de Mélenchon en 2017) lui a coûté. Une grosse baffe. Certes, rien n'oblige à nous comporter comme des bourrins. Nous ne sommes pas obligés de sauter comme des cabris en criant "Sortons ! sortons !" comme si c'était une formule magique qui résume toutes les problématiques du mouvement ouvrier et populaire. La vision mécaniste des processus historiques fait encore des dégâts chez certains... 

De plus si nous voulons élargir le Front il faut aussi s'adresser aux couches moyennes plus sensibles à la propa. des européistes.  Faire de la politique implique quelques efforts tactiques et de communication non pas pour atténuer la vérité mais au contraire la faire apparaître nue et forte. Démocrite, cher à Marx, disait "en réalité, nous ne savons rien, car la vérité est au fond du puits". Tentons, le plus efficacement possible, de l'aider à en sortir. Ce sera le meilleur moyen de célébrer cette victoire avec de nouveaux arguments compte tenu de l'attitude lamentable qui est celle de l'UE à l'occasion de la pandémie. Et si la gauche n'est pas capable de s'emparer intelligemment de cette question, la démagogie nationaliste et capitalisto-compatible des néo-fascismes raflera la mise. 

 

Antoine Manessis.

 


 

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