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L'Uruguay, ce petit pays d'Amérique Latine, 3,5 millions d'habitants, va voter dimanche 25 novembre pour élire son président. Dans la conjoncture politique du sous-continent cette élection prend une importance particulière ainsi qu'au vu de l'histoire du pays. Dimanche les électeurs auront le choix entre Daniel Martinez, candidat du Frente Amplio ("Front large") et Lacalle Pou, candidat de droite du Parti National. Martinez a obtenu 40% des voix au premier tour et Lacalle Pou 30%. De plus le parti Colorado (droite) a obtenu 13% et le parti d'extrême-droite du général Rios fait une percée avec 11%. Comme on le voit la situation du candidat progressiste est délicate. D'autant que la participation a été massive (90%)et qu'il n' y a pas de réserves de voix. A la Chambre des députés (FA 42 sièges, droite sans extrême-droite (43) et au Sénat (FA 13, droite 14) les rapports de forces sont identiques. 

Le Frente Amplio est au pouvoir depuis 2004. La PIB a été multiplié par 5 mais le chômage a augmenté passant de 6,8 en 2018 à 8,3 en 2019. Depuis 2004  le taux de pauvreté a chuté de 40 % à 8 %, le salaire moyen a augmenté de 55 %, le PIB a progressé de 4 % par an en moyenne et le nombre de personnes bénéficiant d'une couverture médicale est passé de 700 000 à 2,5 millions. Plusieurs réformes sociétales, telles que la légalisation de l'avortement et du cannabis ainsi que la reconnaissance du mariage homosexuel, ont été adoptées. En revanche l'insécurité a augmenté +46% d'homicides (60% liés au trafic de drogue) +54% de vols même si le pays reste sûr par rapport à ses voisins. C'est sur dernier thème que la droite s'est engouffrée. D'autre part le président sortant Tabarés Vazquez (FA) a été violemment mis en cause par d'importants secteurs de l'armée après le limogeage du chef d’État-major de l’armée de terre et six généraux par le président. En effet un tribunal militaire n'a pas donné suite aux poursuites contre un officier impliqué dans la torture et l'assassinat d'un opposant politique durant la dictature. Le général Rios,  ex-chef d’État major de l’armée de terre, a traité le président  "de canaille, fragile et irresponsable" et s'est lancé dans la course présidentielle  à la tête de l'extrême-droite.

Le signal que donnerait une victoire de la droite serait, dans le contexte de l'offensive impérialiste en Amérique Latine, très négatif. D'autant que l'histoire du pays aurait pu immuniser les électeurs de toute tentation de droite.

L'Uruguay a en effet une histoire tourmentée.La crise du capitalisme de 1929 a frappé le pays et la réponse des classes dirigeantes fut en 1933 un coup d'Etat. Le pays entra dans un marasme dont il ne sortit  relativement que dans les années 1950. En 1958 le Parti National (qui peut gagner dimanche prochain) arriva au pouvoir et appliqua une politique dictée par les Etats-Unis et le FMI. Ce qui entraîna une crise économique redoutable pour les travailleurs et la petite et moyenne bourgeoisie. Face au mécontentement populaire et aux luttes qui se développaient le pouvoir interdit les partis de gauche, instaure l'état d'exception, c'est alors que se crée le mouvement de guérilla urbaine des Tupamaros d'inspiration castriste alors que le Parti communiste et la gauche adoptaient une tactique de Front populaire qui deviendra le Frente Amplio (Front Large) en 1971. FA qui réunit un large spectre démocratique du Parti communiste à la Démocratie-chrétienne. Le pouvoir s'enfonce dans une politique terroriste : la torture se généralise, des Escadrons de la mort torturent et assassinent. En 1971 Bordaberry est élu président en fraudant massivement et instaure "l'état de guerre interne". En 1973 l'armée fait un coup d'Etat, tout en conservant Bordaberry, et dirige la dictature qui décide l'interdiction des partis, la suspension de la Constitution. Une répression féroce s'abat sur le peuple, un Uruguayen sur 450 est en prison ! Les Escadrons de la mort assassinent même hors des frontières, le pouvoir militaire participe à l'Opération Condor mise en place par la CIA.

Le Parti communiste est particulièrement frappé :  c'est l'Opération Morgan, dont des aspects continuèrent jusqu'en 1984, qui aboutit à la torture de milliers de détenus, à 23 disparitions forcées, 23 morts au cours de tortures, un assassinat en Argentine et 6 décès en prison. Sur le plan économique c'est le triomphe du néolibéralisme : dépenses sociales réduites drastiquement, salaires en baisse, privatisations massives. Résultat, le PIB chute de 20% et le chômage s'élève à 20%. Les médias sont censurés ou interdits, les livres "subversifs" brûlés, les femmes et hommes communistes et de gauche sont exclus de la fonction publique et de l’enseignement. En 1980 un référendum organisé par l’armée pour institutionnaliser sa dictature est un échec. Commence alors une lente transition démocratique avec des élections en 1984 et la libération des prisonniers politiques en 1985. Les deux partis bourgeois et concurrents le parti Blanco et le parti Colorado se disputent le pouvoir sous la surveillance de l'armée tout en appliquant une politique néolibérale basée sur le "consensus de Washington"  (un accord du FMI et de la Banque Mondiale, avec le soutien du Trésor américain, pour n'accorder des aides financières aux pays en difficulté économique qu'à la condition que ceux-ci adoptent des politiques inspirées des thèses néolibérales). C'est la mise en place du Mercosur et de la ZELA (dispositifs économiques imposés par les Etats-Unis) en pleine période "Reagan". Les conséquences en sont la désindustrialisation, la baisse des salaires et le développement du travail informel.

C'est dans ce contexte qu'en 2004 le Frente Amplio remporte les élections et conserve la confiance du peuple jusqu'à aujourd'hui. On voit à travers cette mise en perspective pourquoi nos regards seront tournés dimanche vers Montevideo.

 

Antoine Manessis.

 

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