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Front populaire. Prononcer ces deux mots et des tas d'images, de symboles, de mémoires, d'affects jaillissent. Et pourquoi pas. Mais c'est surtout l'histoire qui peut éclairer cette période qui a marqué de façon durable et profonde le mouvement ouvrier et populaire en France.

D'excellents ouvrages ont été écrits sur le sujet tels ceux de Serge Wolikow (1936 Le monde du Front populaire et Le Front populaire en France et de Jean Vigreux Histoire du Front populaire). Chacun s'y rapportera avec le plus grand profit.

Nous voudrions seulement interroger un aspect du FP qui est porteur de contradictions que nous devons assumer et qui pourrait avoir des conséquences sur la stratégie de la gauche aujourd'hui. 

Le Front populaire est la réponse stratégique de la IIIe Internationale à la victoire du NSDAP en 1933 en Allemagne et à l'anéantissement du mouvement ouvrier de ce pays (KPD et SPD). Or les gauches étaient gravement divisées. La ligne "classe contre classe" et la dénonciation du SPD comme "social-fasciste" par les communistes, l'anti-communiste viscéral des sociaux-démocrates, 

Au vu des élections législatives de 1932 (en juillet et en novembre) le rapport des forces entre les gauches (KPD+SPD) et les Nazis était légèrement à l'avantage des gauches (37% contre 33%). Encore faut-il tenir compte de la droite (19%), le Zentrum et le PNVD (Parti populaire national allemand). C'est l'alliance de la droite (von Papen est du Zentrum) et de NSDAP qui permettra en janvier 1933 l'arrivée d'Hitler à la Chancellerie.

Face donc à la "catastrophe" allemande, l'IC sous l'impulsion du Parti communiste français appuyé par Georges Dimitrov, le secrétaire général de l'Internationale communiste, va promouvoir la stratégie du Front populaire. 

De quoi s'agit-il ? 

De constituer un front anti-fasciste le plus large, le plus ample possible pour stopper le fascisme.

Le fascisme qui, après l'Italie et l'Allemagne, menaçait toute l'Europe où l'on voyait se mettre en place des gouvernements d'extrême-droite (en Hongrie avec Nicholas Horty, en Pologne avec Jozef Piłsudski, Engelbert Dollfuss en Autriche, Ioannis Metaxas en Grèce, des dictatures fascistes ou monarcho-fascistes en Bulgarie, en Roumanie, en Yougoslavie).

Le Front populaire en France est l'archétype des fronts populaires et le VIIe congrès de l'IC (en 1935) le prendra le PCF comme la parti "modèle". Il y en aura ailleurs bien sûr (en Espagne, au Chili etc). Ailleurs les sociaux-démocrates refuseront l'alliance avec les communistes compte tenu de rapport de forces trop favorables à la social-démocratie. Comme en Grande-Bretagne par exemple. 

Ce sont donc les communistes qui prônent et sont à l'initiative de ces alliances anti-fascistes très larges. Clairement il s'agit de défendre la démocratie "bourgeoise", hier encore vilipendée. Démocratie considérée comme le cadre la plus favorable à la lutte sociale et démocratique. 

Le Front populaire verra dans sa pratique la confirmation de cette conception. L'élection d'une majorité de FP et la constitution d'un gouvernement ayant le soutien des partis constitutifs du FP va encourager le mouvement social. Une vague de grèves et d'occupation des usines, et même son pendant dans les campagnes, va aboutir aux Accords de Matignon et à une série de conquêtes sociales. La CGT réunifiée grâce au FP va passer de 2, 5 millions à plus de 4 millions d'adhérents. Le PCF va connaître une progression foudroyante obtenant 70 députés au lieu de 10, de 32.000 adhérents en 1932 à 235.000 en 1936.

Le Rassemblement populaire va du PCF au Parti Radical en passant bien sûr par la SFIO. Les Radicaux c'est une fraction de la bourgeoisie qui en 1936 considère le fascisme comme une menace suffisamment forte pour s'allier aux socialistes et aux communistes. Cela pèsera évidemment sur la politique du FP et le positionnement du PCF. Le prix à payer pour arrêter le fascisme c'est une attitude moins offensive sur la question coloniale et le frein aux luttes quand leur "radicalisme" risque d'effrayer les alliés de l'aile droite du FP. Pour le PC c'est à la fois renouer avec l'héritage de la Révolution française et le jaurésisme et parfois céder à un excès de zèle patriotique et un recul sur l'anti-colonialisme.

C'est un fait. Aurait-on pu agir autrement, de façon plus dialectique, sans doute. Mais la ligne anti-fasciste était prioritaire. Ceux qui aujourd'hui critiquent le FP parce qu'en 1938 le gouvernement Daladier va revenir sur les conquêtes sociales et signer les Accords de Munich, connaissent la fin de l'histoire. Mais en 1934, 35, 36, 37 il fallait unir pour que les fascistes "ne passent pas". Et c'est ce qui fut fait.

Et en parlant de la suite de l'histoire qui peut prétendre que le FP ne fut pas aussi la matrice du Conseil National de la Résistance ? A moins que les mêmes qui reprochent de ne pas avoir applaudi Marceau Pivert et son" tout est possible", ne reprochent aussi le désarmement des milices patriotiques à la Libération ? Non tout n'est pas toujours possible.

De plus les luttes n'ont pas été paralysées par la stratégie de FP, on peut même dire qu'elles ont eu lieu grâce au FP. On peut toujours prétendre qu'il fallait aller plus vite et plus loin à l'époque comme hier dans la lutte contre la casse des retraites. Finalement que la situation est potentiellement révolutionnaire. A notre avis, c'est du gauchisme. Un mouvement social n’est pas une révolution en marche.

On peut très légitimement critiquer telle ou telle la déclinaison de la stratégie, tel ou tel position tactique erronée, mais l'objectif anti-fasciste fut atteint. De plus la dynamique anti-fasciste et la combattivité sociale furent mises en synergie par le Front populaire.

Rassembler, isoler l'ennemi principal et poursuivre son travail politique de conviction et son combat de classe, c'est ce que fit le Front Populaire avec ses limites. Ce combat n'est jamais achevé. On continue.

 

Antoine Manessis

 

 

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