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Et si les "bobos" n'existaient pas ?

Cibles de l'extrême-droite et de la gauche rassie que sont vraiment les "bobos" ?

D'abord le sens du mot: bourgeois-bohème. Or la plupart du temps ceux qu'on désigne "bobos" ne sont ni bourgeois, ni bohèmes.

Ce sont des franges de la petite et moyenne bourgeoisie des villes.

La bourgeoisie est la classe dominante, propriétaire des moyens de production, d'échange et de communication. Bernard Arnault est un bourgeois pas mon voisin designer ou prof.

La bourgeoisie détruit l'environnement pour augmenter ses profits.

Le petit-bourgeois est sensible à la question environnementale, il achète ses légumes à l'AMAP du coin et trie ses déchets. Souvent il n'établit pas de façon claire la responsabilité du capitalisme dans la détérioration climatique et se vexe quand Mélenchon déclare "l'écologie sans anti-capitalisme, c'est du jardinage". Le petit-bourgeois dénonce l'anthropocène et non le capitalocène.

Bref on connait depuis longtemps la petite-bourgeoisie. Ses défauts, ses qualités sans oublier son hétérogénéité. Car entre les moins nantis des petits-bourgeois qui votent Mélenchon, par souci de la question sociale et environnementale, et la partie supérieure qui vote Macron, par souci de ses privilèges, il y a un monde. Entre l'intello précaire et le cadre sup bourré de stocks options aussi.

Pour les forces populaires progressistes la nécessité d'avoir des alliés est incontournable. Or la petite-bourgeoisie est un allié naturel. Sans doute stigmatiser le petit-bourgeois est-il tentant mais, outre que bien souvent la critique vient d'autres petits-bourgeois, ce n'est guère politiquement productif. Chercher les terrains de convergence et d'entente nous semble plus intelligent politiquement. 

Ce que Castro appelait le "développement de la conscience révolutionnaire" implique de partir de là où se trouve la petite-bourgeoisie en tant que classe (dans sa diversité" et ses contradictions) et de faire en sorte que les combats communs permettent ce développement. Sans cacher par ailleurs que parfois la petite-bourgeoisie peut avoir des positions plus progressistes que les classes populaires. On l'a vu historiquement avec le féminisme ou la lutte contre l'homophobie. Opposer comme le font quelques poussiéreux paléo-communistes le "féminisme bourgeois" et le "féminisme prolétarien" est un résidu de jdanovisme contraire à la démarche dialectique.

D’où, selon Angela Davis, la nécessité d’un féminisme intersectionnel. L’intersectionnalité étant un "moyen de penser nos enjeux", qui traversent les corps et les vécus individuels et qui implique "qu’on ne peut séparer les questions relatives à la race des questions relatives à la classe sociale ou au genre".

Cela ne veut évidemment pas dire que la critique n'est pas nécessaire dans les rapports politiques entre les classes alliées. Mais faire des fixations haineuses contre les alliés potentiels, dénoncer les "bobos" comme ennemi principal, n'avance en rien les idées émancipatrices. Les libéraux libertaires existent mais aussi la gauche libertaire. Sans oublier que la critique peut fonctionner dans les deux sens: critiquer le refus obstiné de l'organisation des uns, l'absence de perspectives des "autonomes", ne peut se faire si l'on oublie le risque bureaucratique et autoritaire, des autres.

La question est: ne pas se tromper d'ennemi.

L'alliance avec la petite-bourgeoisie sera conflictuelle. D'autant qu'une partie d'entre elle est présente dans les institutions, dans les médias et qu'elle est imprégnée par l'idéologie dominante de la classe dominante. De plus elle croit, quand elle est de gauche, devoir se placer en tête du mouvement d'émancipation. Ne comprenant pas que la cohérence et le caractère conséquent d'une politique sont déterminés par la position dans le procès de production et non seulement par le "capital culturel".

En conclusion éructer contre les "bobos" - catégorie finalement imaginaire - n'a pas de sens, laissons cela aux droites. Tentons plutôt de construire l'alliance des prolos et des petits-bourgeois.

La petite-bourgeoisie, disait Amilcar Cabral, a le choix: trahir la Révolution ou se suicider comme classe. Parions que pour un certain temps, compte tenu des rapports de forces et des rapports de classes,  classes populaires et parties des classes moyennes devront coexister. Dans le meilleurs des cas portées par une dynamique d'Union Populaire. 

On le voit, mieux vaut appeler les choses par leur nom. Omniprésent dans les médias, mais aussi dans le champ politique le terme "bobo" n’est pas neutre. Son usage et ses variantes («boboïsation», «boboïsé») tendent à simplifier et à masquer l’hétérogénéité des populations et la complexité des processus les affectant. En réduisant les "bobos" à des caricatures, on camoufle les processus sociaux qui déterminent telle ou telle représentation du monde.

Ainsi les "bobos" n’existent pas.

Le combat du quinoa contre la blanquette est une stupidité profondément réactionnaire.

Utiliser des mots qui cachent la diversité et les contradictions à l’œuvre au sein de la petite-bourgeoisie ne peut que servir la confusion ambiante fabriquée par C-News et le Figaro pour empêcher la nécessaire convergence des classes dominées.

 

 

Antoine Manessis.

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