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Le Japon a voté le 31 octobre 2021 pour élire sa Chambre des représentants (équivalent de notre Assemblée Nationale).

Sans surprise c'est le PLD (parti libéral-démocrate) du Premier ministre Fumio Kishida qui l'emporte en conservant la majorité absolue des 465 sièges de la Chambre. Le PLD est le parti de la droite ultra-conservatrice, néo-libérale, atlantiste et nationaliste. Il est issu des partis qui supportèrent le militarisme japonais d'avant guerre à peine purgé des éléments les plus compromis. 

Le programme du PLD est d'ailleurs profondément réactionnaire, proposant : une révision de la Constitution pacifiste (l'article 9 interdit au Japon de disposer d’une armée), un doublement des dépenses de défense et un renforcement des alliances pour contrer la Chine et la soi-disant "menace" nord-coréenne. Il s’oppose au mariage pour tous, au choix d’un nom différent entre les époux, fait peu pour les minorités et contre les discriminations. Le PLD pousse également au redémarrage des centrales nucléaires.

45% des Japonai.ne.s n'ont pas participé à ces élections, un chiffre de l'abstention qui gonfle au fil des ans. Notons la forte abstention des jeunes : à peine un tiers des électeurs âgés de 20 à 29 ans ont voté lors des dernières législatives, contre 72% des 60-69 ans. Signe de la crise démocratique profonde mais aussi de l'absence d'alternative crédible aux yeux des jeunes. Reste que malgré la gestion calamiteuse du Covid et le maintien des JO dans des conditions rocambolesques dont la seule raison était les enjeux financiers, le PLD malgré un recul reste fermement au pouvoir.

Allié au Kōmeitō, un autre parti de droite issu du courant bouddhiste-démocrate, néo-libéral et atlantiste, le PLD reste malgré un recul en sièges (en voix il se maintient) le parti dominant de la vie politique japonaise depuis la fin de la guerre.

Cinq partis d'opposition, dont le principal d'entre eux, le PDC (Parti démocrate constitutionnel, social-démocrate) s'étaient associés dans de nombreuses circonscriptions pour ces législatives. Mais ils n'ont finalement pas réussi à faire une percée en raison de désaccords entre le PDC et le Parti communiste japonais, notamment sur la relation avec les États-Unis.

Comme ailleurs la surprise de ces législatives est venue d'un parti de droite extrême, néo-libéral et ultra-conservateur, le Parti japonais de l'innovation (Nippon Ishin no Kai), qui est devenu la troisième force parlementaire du pays avec 41 sièges, soit quatre fois plus que précédemment. 

 Le PCJ (Parti communiste japonais) a opté depuis longtemps pour "une voie nationale" au socialisme. Il a rompu avec l'Union soviétique et la Chine dans les années 1960, s'est inscrit dans la démarche eurocommuniste et est récemment devenu un des critiques de Pékin, dénonçant son voisin pour avoir suivi la voie de "l'hégémonie" et violé les droits humains à Hong Kong et au Xinjiang. Lorsque le Parti communiste chinois a signalé son 100e anniversaire cette année, le PCJ était le seul grand parti japonais à ne pas envoyer de félicitations... Son indépendance et sa modération ne lui ont pas évité de subir une campagne violemment anti-communiste du PLD et n'oublions pas que les autorités japonaises le classent, avec Daech et la Corée du Nord, comme "une menace pour la sécurité nationale"... Absurde mais vrai. Cela étant le PCJ a su conserver le prestige qui fut le sien en tant que seul parti du Japon à s'être opposé à la guerre et au militarisme. Ainsi le très populaire cinéaste Takeshi Kitano a pris position pour le PCJ. Ce dernier a su conserver un espace politique avec 7,6% en 2017 et semble-t-il 7,3% hier 31 octobre 2021 même s'il a perdu 2 sièges (10 au lieu de 12 en 2017).

Reste qu'au Japon la droite reste largement hégémonique depuis la fin de la guerre. Des années 1950 aux années 1970, la CIA étasunienne a dépensé des millions de dollars pour influencer les élections au Japon afin de favoriser le Parti libéral-démocrate (PLD) contre les partis de gauche tels que les socialistes et les communistes. Avec des résultats, semble-t-il.

La politique japonaise est patriarcale et machiste, les femmes ne représentent, en 2020, que 10 % des parlementaires. Le gouvernement ne compte que deux femmes sur vingt-et-un ministres. Le poids des mentalités réactionnaires pèse donc sur la vie politique.

La vie politique japonaise est en grande partie dominée par des dynasties, avec l'argent, le "capital d'influence" – le statut social– sont des éléments clés pour faire carrière en politique. La plupart des premiers ministres japonais présentaient des liens avec l'aristocratie. L'absence d'épuration du militarisme fasciste japonais que les Etats-Unis ont empêché par anti-communisme explique le caractère durable de ces anomalies historiques dans un pays. Le mouvement social japonais (compris ici comme un ensemble de mouvements militants) est fragmenté, sectorialisé, souvent ancré dans des réalités locales, mais sans capacité d'action nationale. Du côté syndical, Rengo (Confédération japonaise des syndicats, JTUC) roule avec et pour la droite Les syndicats liés au PCJ, Zenroren (Confédération nationale des syndicats, NCTU) sont très minoritaires. 

Rares levier pour la gauche, un profond courant pacifique et anti-impérialiste, héritage d'Hiroshima. Une sensibilité aux questions environnementales due à des catastrophes. L’exemple le plus connu est celui de la "maladie de Minamata", provoqué par un développement capitaliste sauvage. Et un profond courant anti-nucléaire renforcé par Fukushima : là-bas les communistes sont hostile au nucléaire militaire et civil.

Pourtant la situation sociale est très dégradée. En1993, à la suite de l’éclatement de la bulle spéculative et de la crise économique qui l’a suivie, les jeunes ont été obligés d’accepter les emplois précaires : ils étaient 52 000 en 1982, 135 000 en 1997 et 2 millions en 2001. Parmi les jeunes appauvris et qui ont perdu leur domicile, certains passent la nuit dans un « manga café » ou un cybercafé ouvert 24 heures sur 24 dont le coût est 1 500 yens (10 euros) pour 5 heures d’utilisation pendant la nuit. Les jeunes qui n’ont pas les moyens d’aller dans un manga café vont chez McDonald’s ouvert toute la nuit en payant 100 yens (0,60 euro) pour un café.

Précarisation de l’emploi ou d’exclusion sociale sont le résultat de la mondialisation néolibérale. Pourtant au Japon, la lutte des classes ou la contestation de l’État impérialiste et capitaliste n’est plus la lecture adéquate de la réalité pour la majorité de l’opinion publique japonaise. De ce fait, les mouvements basés sur les références marxistes ne rencontrent pas un écho de masse dans la société japonaise, et ont peu de retentissement. Tout au contraire, il apparaît qu’avec la montée du sentiment d’insécurité sociale l’opinion japonaise accepte de plus en plus la logique nationaliste et militariste de l’État.

 

 

Antoine Manessis.

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