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                                                      David Chterenberg 1927-   Débattre

 

J'ai reçu récemment (le 12 août dernier) d'un camarade deux textes, plus anciens, qu'il a écrit autour du thème "la répression des opposants en URSS et ses justifications".

http://www.reveilcommuniste.fr/2015/09/pourquoi-le-socialisme-de-l-avenir-ne-sera-pas-liberal.html

http://www.reveilcommuniste.fr/2017/08/la-repression-des-intellectuels-contre-revolutionnaires-est-elle-legitime-est-elle-utile.html

Je me permets donc de donner mon avis sur cette question qui est plus d'ordre historique qu'immédiatement politique, me semble-t-il. Vu que  nous sommes très loin de réprimer qui que ce soit... Même si justifier la répression contre "les intellectuels exprimant des tendances bourgeoises" et la liberté de création pourrait être nuisible au mouvement d'émancipation si celui-ci était organisé, visible et audible et s'il adoptait ce point de vue. L'entre nous de la discussion la neutralise.

Marx, qui n'était pas marxiste certes, et Engels disaient que la Dictature du prolétariat c'est La Commune de Paris. Reconnaissons qu'on est loin de l'interdiction (ridicule) du film "Le dernier tango à Paris" et même des procès de Moscou des années trente.

Cela étant contextualisons ! La répression des contre-révolutionnaires ne prend pas la même forme durant la guerre civile en Russie et à Cuba en 1990. Ni en Corée du Nord en 1950 ou au Vietnam en 1970.

De même que la répression des révolutionnaires n'est pas la même en France en 1973 qu'au Chili à la même date ou encore au Portugal sous le règne de Salazar ou celui de Soarés.

Selon les situations historiques la répression ne s’exerce pas de la même façon. C'est déjà fondamental. Et si nous trouvons un terrain d'entente sur ce point toute la discussion devient quasiment inutile. Car oui il est des moments historiques où il faut frapper la contre-révolution par la violence révolutionnaire, qui est toujours riposte à celle de la contre-révolution (comme l'a parfaitement et remarquablement  démontré Arno J. Mayer dans Les Furies 1789-1917), et d'autres moments où l'on peut combattre politiquement et idéologiquement la contre-révolution sans que le Goulag soit incontournable. Question, finalement, de rapport des forces (politiques, idéologiques, géopolitiques, économiques, culturelles...). 

Ensuite frapper frontalement ceux qui portent des idées ou un programme politique hostile à la Révolution signifie les craindre. Cela signifie non pas une position de force mais de faiblesse. Interdire le jazz ou le rock est incontestablement 1) stupide 2) un signe de faiblesse et 3) contre-productif et/ou inutile.

Comme lorsque les nazis  brûlaient les livres judéo-bolchevicks ou comme les Colonels grecs qui interdisaient la mini-jupe ou la musique de Théodorakis. Que les fachos n'aient d'autres armes que les armes on peut l'admettre, mais que nous pensions la même chose est consternant. Staline disait que nous sommes comme Ante qui prenait sa force au contact de la terre. Que notre terre ce sont les masses et que si un Hercule ( les fameux facteurs internes et externes ) parvient à nous couper des masses nous sommes perdus. Il avait raison. Or ce n'est pas en coupant les cheveux des jeunes communistes en visite en URSS qu'on les convaint de la supériorité du socialisme, ni en foutant au trou des "intellectuels bourgeois" mais en faisant en sorte que les masses vivent la supériorité du socialisme. Si nous en sommes incapables pour des raisons objectives alors mieux vaut être dans l'opposition pour contraindre le capital à des compromis plutôt qu'être au pouvoir.

On peut combattre une idée, on ne peut pas l'interdire. On peut combattre la psychanalyse certainement pas l'interdire. On peut, on doit combattre les idées réactionnaires de Soljenitsyne, organiser un débat public avec lui à la télé pour que les citoyens de l'URSS entendent l'absurdité de son argumentation et la pertinence de nos arguments, certainement pas interdire de lire sa prose. C'est un manque de confiance dans les idées progressistes et dans les masses, qui est ahurissant. Une partie de la culture communiste n'a toujours pas compris que le débat démocratique est positif, qu'il nous est favorable, car elle a essentialisé certaines expériences en en faisant des modèles quoi qu'elle en dise. En quelle honneur les expériences russe ou chinoise ou cubaine seraient les seuls chemins vers l'émancipation ? Elles-mêmes se sont opposées les unes aux autres. Cette tendance à vouloir universaliser une des méthodes ne mène qu'au fiasco (cf la théorie du foco).

Comme pour le passage pacifique au socialisme, l'incapacité à concevoir qu'un rapport de forces permette de l'envisager est proprement dogmatique. Et non seulement le rapport de forces mais aussi la nature même du processus révolutionnaire. Car, jusqu'à plus ample informé, qui peut dire quelle sera la forme d'un processus révolutionnaire dans un pays comme la France ? On a pu constater que la bourgeoisie a su prendre bien des chemins pour s'assurer sa domination ( Angleterre, France, Etats-Unis, Allemagne, Japon...). Pourquoi cette diversité de chemins serait-elle interdite au prolétariat ? Figer les choses, affirmer de façon péremptoire que les choses se passent nécessairement de telle ou telle façon ("le pouvoir est au bout du fusil"), c'est tourner le dos au marxisme créateur (excuser le pléonasme, mais les choses étant ce qu'elles sont...). 

C'est d'ailleurs amusant que des camarades qui s'extasient devant la Chine engagée, selon eux,  dans une NEP de quelques centaines d'années, ne puissent pas admettre qu'un processus révolutionnaire puisse s'étaler dans le temps. Sans compter que si l'on admet le point de vue chinois (pour développer les forces productives il faut la capitalisme) autant reconnaître que le réformisme est incontournable. Mais laissons ce débat et revenons à nos moutons.

Sans  même parler du fond, sur le plan tactique considérons que ce qui est interdit attire. On en fait un objet de désir. Alors qu'en débattant on démystifie l'attrait de l'interdit en en faisant justement autre chose que l'objet mystérieux d'une interdiction. Ce n'est pas pour rien que la bourgeoisie a supprimé toutes les émissions de débats de la télé et des radios qui préfèrent les monologues des uns ou des autres à la confrontation des opinions. Et à ce propos nous avons encore des leçons à prendre des bourgeois : qu'est-ce qui fait que nous n'avons aucune crédibilité lorsque nous parlons de dictature de la bourgeoisie (alors qu'elle est réelle bien sûr !)? Les gens répondent : mais on vote pour qui on veut, pour le parti communiste si on le veut ou le RN ou le PS ou LREM ! On achète le journal que l'on veut, L'Huma ou le Figaro ou Libé ! Et nous de notre côté nous devrions annoncer que nous allons interdire les journaux qui ne sont pas communistes ? Est-ce sérieux camarades ? La dictature du prolétariat sera comme la dictature de la bourgeoisie, différente selon les circonstances historiques où elle s’exercera. A toute action correspond une réaction de force égale et personne ne peut prédire comment les choses se passeront.

Le mouvement communiste a mis du temps à comprendre que le fascisme n'était pas identifiable à un régime parlementaire bourgeois. Un tel aveuglement est certes effarant a posteriori mais explicable historiquement. Mais il semble que d'excellents camarades ont aussi du mal à comprendre que le socialisme soviétique n'est pas identifiable avec le socialisme qui pourrait s'édifier en Italie, en Grande-Bretagne, au Gabon, en Malaisie ou...en France. D’ailleurs citer des pays socialistes actuellement existants, la Corée du Nord et Cuba par exemple, suffit à montrer combien ces deux pays différent. Et, concernant notre sujet en particulier, rien n'oblige à théoriser la nécessité de la répression. On peut imaginer un pouvoir révolutionnaire, aussi intelligent que celui de certaines bourgeoisies, capable d'exercer son hégémonie, au sens gramscien du terme, sans mettre les opposants en prison (ou dans des hôpitaux psychiatriques).

Nous ne rendrons pas le socialisme désirable en le peignant des couleurs des cellules d'une prison. Nous ne pouvons que promettre et réaliser  plus de démocratie c'est-à-dire plus de libertés pour la classe, les travailleurs, le peuple. C'est-à-dire plus de pouvoir aux travailleurs sur leurs lieux de travail. C'est-à-dire plus de pouvoir aux syndicats de travailleurs. C'est-à-dire plus d'intervention des producteurs, des travailleurs et des consommateurs/usagers dans tous les secteurs de la vie économique, sociale et culturelle. C'est-à-dire des médias honnêtes donc pluralistes où nos propositions et idées politiques se confronteront avec nos adversaires de classe. C'est-à-dire construire notre hégémonie par plus de démocratie pour le travail et les masses. Conquérir chaque jour de nouvelles positions et forger un rapport de forces favorable. Pas besoin de mettre en prison les opposants car la prison ne les arrête pas, pas plus qu'elle ne nous a arrêté. C'est au contraire la confiance et le soutien actif et conscient d'une écrasante majorité de notre peuple qui paralysera l'ennemi de classe.

Difficile ? Mais avons-nous le choix ?

 

Antoine Manessis.

 

 

 

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