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Soyons clairs : "la mère des batailles", nous l'avons perdue.

Cela ne veut pas dire qu'il ne fallait pas se battre, que "ça ne sert à rien". Aucune bataille n'est inutile. Elle est une expérience, elle laisse des traces dans les consciences, elle est une strate de plus qui se rajoute aux précédentes pour forger l'avenir.

Cela ne devant pas être négligé, il reste que nous avons perdu une bataille. Et qu'il est nécessaire de s'interroger sur ce constat.

 

Rappelons que ce mouvement a confirmé la "crise d'hégémonie" de la bourgeoisie. La suite des événements nous montre combien les fondés de pouvoir du capital, pourtant sortis vainqueurs de l'affrontement, sont désemparés face à toute situation de crise. Telles les réactions qui ont suivi l'assassinat de Nahel par une police radicalisée, et dont l'ampleur ne justifiait en rien la mobilisation de dizaines de milliers de policiers et de gendarmes avec GIGN et blindés dans les rues. Telle aussi la réaction violente et disproportionnée du gouvernement face à la lutte contre les mégabassines à Sainte-Soline (voir le rapport de la LDH). 

Le passage en force de leur contre-réforme des retraites, grâce à une Ve République bonapartiste, ne leur a pas donné de forces supplémentaires, n'a pas élargi leur base de masse qui reste très étroite, n'a pas favorisé le consentement de la société à leur politique. Aussi, leur usage de l'autoritarisme et de la coercition s'aggrave. Plus ils criminalisent la gauche, en particulier la FI, plus ils s'emparent des thèmes de l'extrême-droite, plus s'ouvre une voie royale au néofascisme.

 

Balayons maintenant les explications magiques et contradictoires de groupuscules gauchistes. Le responsable de la défaite serait l'Intersyndicale et en particulier l'affreux Laurent Berger. Les directions syndicales doivent être donc, selon eux, dénoncées car ce sont elles qui empêchent la situation révolutionnaire de s'épanouir.

Habitués à s'exonérer du réel, ils "oublient" que c'est l'unité syndicale qui a permis au mouvement d'avoir un soutien de masse, certes insuffisant mais cela eut été pire sans elle. Que la tactique de l'Intersyndicale soit l'objet de débat, cela ne fait pas de doute. Mais en faire la cause de la défaite relève d'une posture aussi creuse qu'un tambour, ça fait du bruit pour pas grand chose.

Surtout quand la situation révolutionnaire n'existe que dans leurs fantasmes. Et ceux-ci, jusqu'à nouvel  ordre, ne remplacent pas une réflexion stratégique. 

Car la réalité c'est que l'action gréviste a été faible. C'est que la participation aux AG et aux comités de grève a été faible. Que le regroupement de militants de différents secteurs a été quasi inexistant. Que l'Etat bourgeois n'a montré aucun signe de faiblesse ou de faille et que le MEDEF a joué la carte du pouvoir sans faillir. Même à l'Université les AG étaient faibles.

Songeons d'ailleurs que l'affaiblissement continu des organisations syndicales n'est sans doute pas pour rien dans ce constat.

Prétendre que le prolétariat était radicalisé et qu'il fut bloqué par l'Intersyndicale est une baliverne. La vérité c'est que la majorité du prolétariat n'est pas entré dans le mouvement. Les salariés étaient à 90% contre cette réforme et vouent Macron aux gémonies. Mais cela ne fait pas une conscience anticapitaliste. Ni un engagement dans l'action, en particulier gréviste.

 

Le test fut justement la faiblesse du mouvement gréviste. Incontournable. Et désolé, mais cela n'est pas de la faute de Berger. Et sans doute de personne. C'est le résultat de mutations profondes du prolétariat.

Outre les bas salaires, l'inflation, la précarité, la répression antisyndicale, la résignation, les défaites qui se succèdent depuis au moins 20 ans (ce qui fait déjà pas mal), il y a que les collectifs ouvriers ont explosé, disparus, que la lutte collective, syndicale n'a pas de base sociale. Les gauchistes qui se disent marxistes oublient que les rapports sociaux déterminent la forme et le contenu des luttes. Si le collectif n'existe plus qui va mener la grève ?

Nous n'avons pas encore tiré les leçons de l'atomisation de la classe et, du coup, sa passivité. C'est autrement plus ennuyeux que le fait que Berger soit un réformiste (ce qui n'est pas un scoop soit dit en passant).

Par ailleurs on ne peut pas en même temps cracher sur l'Intersyndicale et les "directions traîtres" et se désoler qu'ils n'appellent pas à la grève insurrectionnelle. Un peu de cohérence ne fait pas de mal. Et on attend avec une impatiente non feinte que les 40 groupes (au moins) qui se prétendent le noyau du futur grand parti des travailleurs se magnent un peu parce que pour l'instant il n'y a pas non plus de grand parti ouvrier et populaire de masse à notre connaissance. Et cela aussi pèse sans doute, un peu, dans notre défaite.

De même que nous croyons que l'affaiblissement des syndicats a joué un rôle négatif dans la mobilisation et qu'attendre une direction révolutionnaire alternative c'est croire au Père Noël.

 

Quant au volet plus politique justement que voyons nous ? Outre donc l'absence d'un parti ouvrier de masse, dont d'ailleurs on peut interroger la possibilité quand les gros bataillons ouvriers ont été dispersés, pulvérisés par le capitalisme mondialisé. Nous voyons la France insoumise et ses députés mener un combat parlementaire courageux et une présence de ses élus sur les piquets de grève, les seuls à tenter de politiser intelligemment le mouvement social et à se mettre à son service loin des petites (et grossières) manœuvres d’autoconstruction des groupuscules.

La France insoumise est parvenue à faire entendre le mouvement populaire dans l'enceinte parlementaire, ce qui d'ailleurs a provoqué la rage haineuse de la Macronie. Il lui reste à poursuivre son travail de construction et d'organisation afin que les classes populaires se reconnaissent encore davantage en elle.

Quant au RN bien que sa position mi-chèvre mi-choux et sa condamnation des grèves, des manifs, des syndicats auraient dû le mettre hors jeu, il semble profiter politiquement du mouvement social. Sans doute parce que celui-ci, et c'est là aussi une des causes de la défaite, n'a pas été suffisamment clair dans son contenu politique. Au-delà du rejet de la contre-réforme et de Macron la dimension anticapitaliste n'a sans doute pas été clairement perçue. Et peut-être plus encore l'alternative à la politique ne s'est pas suffisamment affirmée. Quand le ressentiment à l'égard des puissants domine l'esprit public le RN peut ramasser la mise. En revanche quand l'espoir guide le combat, c'est la gauche qui gagne.

Crédibiliser une issue politique alternative reste encore un défi à relever pour la gauche de gauche, pour la France Insoumise qui en est le coeur battant. Gramsci écrivait en 1926: "...en Occident aujourd'hui ce qui a un impact idéologique et politique, c'est la conviction (si elle existe) que le prolétariat, après avoir pris le pouvoir, peut construire le socialisme." N'est-ce pas une part de l'explication de la défaite du mouvement social ?

"La conviction (si elle existe)" : notre tâche, la faire exister.

 

 

Antoine Manessis

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