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Le 25 avril 1974 tout commence par une chanson, Grândola, Vila morena est diffusée à la radio portugaise. C'est le signal du soulèvement militaire qui va renverser la dictature fasciste vermoulue du salazarisme, vieille d'un demi-siècle, l’Estado novo fondé par António de Oliveira Salazar en 1933.

Mais le renversement "pacifique" du fascisme le 25 avril 1974 n'est que la partie immergée de l'iceberg.

Il a fallu beaucoup de temps, de luttes, de violence et de sang pour en arriver là.

Parce qu'une des causes centrales de la révolution furent les guerres coloniales en Angola, au Mozambique, au Cap-Vert et en Guinée-Bissau. Guerres terribles où le colonialisme multiplia pendant plus de 10 ans carnages et massacres de masse, atrocités et crimes de guerre et crimes contre l'humanité à l'encontre des peuples en lutte pour leur libération. Des villages entiers sont exterminés au napalm.

Luttes soutenues par les pays socialistes et particulièrement Cuba. La réunion de la Tricontinentale à La Havane fut marquée par l'intervention d'Amilcar Cabral, le fondateur du Parti africain pour l'indépendance de la Guinée et du Cap-Vert (PAIG) qui sera assassiné en janvier 1973 par la PIDE, la Gestapo portugaise.

Il faut souligner que lors de son 5e Congrès, en 1957, le Parti communiste portugais clandestin (PCP) fut la première organisation politique à exiger l'indépendance immédiate et totale des colonies portugaises. 

Au début des années 1970, la guerre coloniale portugaise faisait rage, consommant 40% du budget annuel du Portugal. L'armée portugaise était débordée malgré la mobilisation de 7 % de la population totale du pays et il n'y avait aucune solution politique en vue. Dans l'armée comme dans le pays le rejet de ces guerres coloniales d'un autre temps se radicalisa.

Déjà dans les années 1960 un regroupement des forces anti-fascistes s'est dessiné autour de la figure du général Humberto Delgado. Mais celui-ci sera assassiné en 1965 par la PIDE.

La situation politique et sociale se détériore aux colonies comme dans le pays. La répression contre la gauche et les syndicats et la misère des villes et des campagnes, entraînent une forte émigration. Le Portugal présente à l’époque les salaires les plus faibles d’Europe, les taux d’analphabétisme et de mortalité infantile les plus élevés et le risque de tuer ou mourir dans des guerres absurdes.

Le 25 avril est donc l'expression d'un long processus qui certes n'avait rien d'inéluctable mais qui ne doit rien à on ne sait quel élan démocratique d'une poignée de capitaines. Cela ne signifie pas que l'initiative des militaires de gauche ne fut pas décisive et centrale mais il faut la saisir comme un moment du processus révolutionnaire. D'ailleurs les mois qui ont suivi montrent bien la synergie "Povo-MFA" qui se mit en place entre une fraction de l'armée, la classe ouvrière industrielle, la paysannerie pauvre et la petite-bourgeoisie. D'ailleurs dès le 25 avril la population portugaise descend dans la rue pour soutenir l’action du MFA.

Le PCP qui a su déployer le processus révolutionnaire en s'appuyant sur le prolétariat des villes, la paysannerie en particulier les ouvriers agricoles dans l’Alentejo, le Sud des grandes propriétés, et les fractions les plus avancées du MFA, tel Vasco  Gonçalves,  qui fut premier ministre de juillet 1974 au 19 septembre 1975. Il mène ce que les Portugais appelleront le "Processus Révolutionnaire En Cours". Il nationalise tous les capitaux portugais dans les secteurs de l'économie bancaire, des assurances, de la pétrochimie, des engrais, du tabac, du ciment et de la pâte à papier, ainsi que de l'entreprise sidérurgique portugaise, des grandes brasseries, de grandes lignes maritimes, la plupart des transports publics, deux des trois principaux chantiers navals, des réseaux de radio et de télévision et d'importantes entreprises des secteurs du verre, des mines, secteurs de la pêche et de l’agriculture et met mes en place la réforme agraire. 

Sans s'attarder sur tous les épisodes qui marquèrent cette période, les victoires comme les revers subis par le mouvement révolutionnaire, on peu constater que sa base de masse ne fut pas suffisante pour poursuivre le processus révolutionnaire.

Les puissances impérialistes comme la bourgeoisie portugaise virent le spectre de la révolution se dresser devant elles. 

Des forces importantes vont alors se déployer pour barrer la route "au croiseur Aurore". Les gouvernements allemand, étasunien, français vont entrer dans le jeu. La social-démocratie portugaise appuyée par l'Internationale socialiste va jouer un rôle central dans l'arrêt du processus. Les gauchistes anti-communistes (MRPP) vont jouer leur partition, le PCP est traité de "social-fasciste"...Le gauchisme  combat le grand parti de la gauche qu'est le PCP et la gauche du MFA...tous trop "réformistes" à leurs yeux.

Mais ce qui est décisif dans l'orientation que va prendre le mouvement d'avril et la fin du processus révolutionnaire fut qu'en avril 1975, le Parti socialiste du très droitier Mario Soares et ses alliés de droite obtiennent la majorité à l'assemblée constituante provisoire. Le PS obtient 41% des voix, la droite 28% et le PCP 13%. ls vont rapidement dénoncer Gonçalves comme une menace pour la démocratie, un Lénine en puissance, lancer des campagnes nationales et même internationales contre le PCP et la gauche du MFA. 

L'infantilisme irresponsable des donneurs de leçon qui reprochent au PCP de ne pas s'être lancé dans une aventure révolutionnaire, le "solo funèbre de la classe ouvrière" dont parlait Karl Marx, ne fait pas le poids devant les rapports de forces définis par le peuple lui-même. A moins de vouloir retirer le droit de vote à 70% des Portugais (et d'en avoir les moyens) on voit mal comment la gauche pouvait faire autre chose que se replier en bon ordre. Rappel aux rudes réalités: les maoïstes obtinrent 0,6% et les trotskistes 0,2%... Combien de fois faudra-t-il répéter que notre seule force est le nombre et qu'au XXe siècle,  imaginer des coups de force blanquistes est ridicule en plus d'être, s'ils étaient accomplis, dangereux. D'autant que le bilan d'Avril est loin d'être négligeable sur le plan des conquêtes sociales et démocratiques. 

C'est aussi, peut-être surtout, une leçon incontournable même si cela nous est désagréable. Déjà en 1974, alors que les pays socialistes existaient, que le Vietnam parvenait à vaincre les Etats-Unis d'Amérique, qu'en France la gauche unie menaçait l'hégémonie de la droite, qu'au Chili, Pinochet et la CIA avaient assassiné l'Unité Populaire (ce dont le PCP s'est souvenu en 1975), la voie révolutionnaire dans le sens de la tradition bolchevique est apparue caduque. Obsolète. Les "avant-gardes", le "double pouvoir", les "gardes rouges" et la "dictature du prolétariat", c'est fini. Smolny a fermé ses portes.

Aujourd'hui il faut gagner majoritairement la conscience des masses et la majorité électorale, ce sont des conditions nécessaires mais certainement pas suffisantes. Chaque pas en avant dans un processus révolutionnaire exige non seulement l'adhésion, massive et majoritaire, mais la mobilisation du peuple, classes populaires, petite-bourgeoisie et au moins de fractions de la moyenne bourgeoisie.

 

Ce qui rend triste ce 50e anniversaire ce n'est pas l'analyse des forces et des faiblesses du processus engagé le 25 avril 1974.  Ni même les difficultés inhérentes aux processus révolutionnaires à notre époque. Ce qui rend cet anniversaire triste c'est de voir au Portugal le PCP se réduire à 3,17%, le Bloc de gauche à 4,3% soit ensemble 7,5% quand le PS et la droite obtiennent chacun 28% des voix et, le pire, que le parti néo-salazariste Chega arrive à 18%. 

Et cela avec un faible taux d’abstention (moins de 34 %).

Dans un tel contexte on se demande, soit dit entre parenthèse, ce que le PCP et le Bloc de gauche attendent pour se mettre d'accord et unir sinon unifier leurs maigres forces. Et à quoi rime pour le MRPP d'avoir 0,2% des voix ? Quant aux trotskistes ils n'ont même pas pu se présenter du fait de leurs divisions internes, tranchées par les tribunaux bourgeois...

Au Portugal comme en Grèce, comme dans tant et tant de pays, il n'y a pas d'alternative crédible, organisée et de masse à l'hégémonie de la droite/extrême-droite. La gauche donne l'impression de ne rien comprendre de la situation. De n'avoir en fait aucune réponse aux interpellations populaires. Pourtant nous savons que cet effet d'optique n'est pas juste. Que si il y a un courant politique qui n'a aucune solution aux difficultés des masses c'est bien l'extrême-droite. Pourtant 18% des Portugais-e-s ont voté pour eux. Alors où est le nœud gordien ? 

Il nous faudra trouver une réponse avant qu'il ne soit trop tard.

 

 

Antoine Manessis

 

 

 

 

 

 

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