L'extension du domaine de la lutte

                                                                           31 janvier Paris

"60% des Français déclarent qu’ils comprendraient que les grévistes bloquent le pays car il s'agit du seul moyen pour que le gouvernement retire ou modifie sa réforme des retraites" selon un sondage Elabe pour BFMTV. Pour voir la totalité du sondage:  https://elabe.fr/reforme-retraites-2023-3/  

Un sondage ça vaut ce que ça vaut, mais venant d'où ça vient, et qui ne nous est pas a priori favorable, on doit le prendre en compte.

Il confirme surtout ce que nous voyons et entendons autour de nous. 40.000 manifestants à Grenoble, des centaines de milliers à Paris et partout en France les records sont battus. Ensemble, nous sommes donc des millions à avoir battu le pavé.

Soulignons aussi l'idée juste des sondés : sans la grève (le blocage du pays dans la langue du sondeur) rien ne fera reculer le régime macronien et le capital. Ils ont raison. Macron n'a rien à perdre, il ne se représente plus. Surtout il a été mis à l'Elysée par et pour le grand capital. Avec une feuille de route qu'en fondé de pouvoir du MEDEF il doit suivre à la lettre: casser la retraite par répartition, baisser les pensions et faire trimer les gens tant qu'ils sont debout.

Le capitalisme a choisi de baisser les salaires et augmenter ses profits. Il y est parvenu. Pour ce faire il déploie depuis des années inexorablement son plan. Par les délocalisations, la précarisation, l'atomisation du travail et des travailleurs, en appauvrissant les services publics pour mieux les privatiser. Ils tombent ainsi comme des fruits mûrs dans la gueule des prédateurs de capital. Les chiffres d'Oxfam sont éloquents, lisons ce rapport résumé par une phrase: "Il y a une lutte des classes, bien sûr, mais c'est ma classe, celle des riches, qui fait la guerre. Et nous gagnons." avait dit Warren Buffet un milliardaire étasunien.

Seulement, voilà. La 3e loi de Newton énonce que toute action suscite une réaction.

Les classes populaires et les classes moyennes, ça fait du monde. Certes le rapport de force n'est pas de 99% contre 1%. Mais l'écrasante majorité sociologique a intérêt à combattre la politique du capital et à organiser la société de façon plus juste et plus rationnelle. Les questions environnementales et écologiques, montrant le caractère mortifère du capitalisme, s'ajoutent au combat historique des travailleurs et des travailleuses contre l'exploitation capitaliste. S'ajoute au combat des femmes pour l'égalité et la dignité et au combat contre toutes les ségrégations, contre les violences de l'État capitaliste. 

La crise du mode de production capitaliste, la crise du Covid (qui en est une conséquence), ont entraîné chez nous une large prise de conscience de la situation. Evidemment et heureusement pas seulement chez nous. En Grande-Bretagne une gigantesque grève a paralysé le royaume. Au Pérou, malgré les balles (plus de 50 morts) les manifestants réclament la démocratie et la dignité. En Chine, pays du contrôle social, les masses en colère ont fait reculer Xi-Jinping et sa clique capitaliste sur le "zéro covid".

Bref la réaction populaire à l'action des classes dominantes semble se faire sentir. Pour y faire face les bourgeoisies n'ont pas dit leur dernier mot. En particulier, sur le plan politique, elles ont "fabriqué" une fausse alternative: le néo-fascisme. Il n'est pas identique, les circonstances historiques ayant profondément changées, à celui des années 1920-1930. Mais il est ce piège diabolique qui fait prendre, à une large fraction du peuple, son pire ennemi pour un ami.

Car, sans ouvrir un camp de Dachau pour les opposants, l'ambiance politique serait telle, en cas de victoire de l'extrême-droite, que distribuer un tract deviendrait difficile sinon impossible. Les institutions seraient investies par l'extrême-droite qui serait ralliée par toutes les droites. Les libertés démocratiques seraient gravement réduites. Les capitalistes verraient toutes leurs exigences satisfaites. Les syndicats seraient broyés par des lois liberticides restreignant leurs capacités d'action. La justice serait sans force et la force sans justice. Le démantèlement des services publics y compris l'audio-visuel s'accélérerait: C-News partout. La jeunesse populaire des quartiers subirait des violences policières sans limites. Etc...

Que nul ne croit qu'il n'y aura pas une "rupture qualitative et quantitative" entre l'autoritarisme des droites classiques et celui des néo-fascistes. 

C'est pourquoi la réaction populaire que traduisent ces sondages est la bienvenue. Au moins, que souffle le vent de la révolte contre l'injustice d'un pouvoir que, chacune et chacun, perçoit de plus en plus, de mieux en mieux, comme au service exclusif des plus riches, du capital. Les faire reculer sur les retraites serait un victoire historique. Rien n'est fait mais ils paniquent ne sachant plus sur quel mensonge s'appuyer. Ils en changent chaque matin. Mais chaque matin nous sommes plus nombreux à leur dire: Non, c'est non.

Le mouvement syndical on le voit, et avec quel soulagement, reprend des couleurs. Ainsi l'intersyndicale appelle "à multiplier les actions, initiatives, réunions ou assemblées générales partout sur le territoire, dans les entreprises et services, dans les lieux d'étude, y compris par la grève". 

La gauche politique doit, quant à elle, offrir au mouvement populaire une perspective. Elle a un programme de rupture avec le néo-libéralisme, elle a une structure, la NUPES, qu'elle doit faire réellement vivre. Vivre et ouvrir aux classes populaires, par un choix volontaire, politique et organisationnel.

Ce n'est pas le moment du repli sectaire, de l'esprit de chapelle, de l'identarisme impuissant. L'enjeu est trop important pour être laissé à ceux qui ne sont pas capables de comprendre que l'heure est à l'union la plus ample, la plus large, à ceux qui ne comprennent décidemment pas que, comme l'écrivait Dylan, The Times They Are a-Changin' . 

Et pourtant ils changent.

Antoine Manessis.