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Boric et Lula

                                                         

 

 

Situations complexes

Deux pays d'Amérique Latine connaissent des situations politiques que nous pouvons qualifier de complexes sans risque d'être démenti. Sans confondre le Brésil et le Chili, qui ont d'évidentes différences à bien des égards, on peut tout de même remarquer dans leur situations quelques éléments communs qu'ils ne sont d'ailleurs pas les seuls à partager.

Au Brésil le candidat de la gauche, Lula da Silva (parti des travailleurs), a été élu en 2022 avec 51% des voix face au président sortant le fasciste Jair Bolsonaro qui obtenait 49%.

De plus Lula doit gouverner sans majorité au Congrès (Chambre des députés+Sénat) où la droite et l'extrême-droite ont la majorité.

L'abstention n'est que de 20%.

Au Chili le candidat de gauche Gabriel Boric a été élu en 2021 avec 56% des voix contre le fasciste pinochetiste José Antonio Kast qui obtient 44% sachant que Kast est arrivé en tête au premier tour avec 28% contre 26% des voix à son adversaire de gauche Boric.

Boric, comme Lula, se trouve confronté à un Congrès (bicamériste) où le centre, la droite et l'extrême-droite domine.

L'abstention est forte soit 45%.

 

Exécutifs contre législatifs

 

Les deux exécutifs de gauche au Brésil comme au Chili sont donc élus mais se trouvent confrontés à une même difficulté : comment mener une politique de réformes sociales progressistes favorables aux classes populaires avec un pouvoir législatif dominé largement par l'opposition des droites.

Une autre difficulté commune, une oligarchie capitaliste, et de grand propriétaires terriens, très puissante qui contrôle la quasi totalité des médias de masse. Un patronat puissant et organisé et très radicalisé. Au Chili par la période de la dictature néo-libérale de Pinochet et une transition démocratique très timide accomplie par l'alliance (la Convergence démocratique) de la Démocratie-chrétienne et le parti socialiste rallié au néo-libéralisme. Toute la structure sociale est marquée par des décennies de néo-libéralisme total de même que les consciences.

Au Brésil le gouvernement de Bolsonaro a également mis en appétit et en position de force les forces du capital. Malgré une gestion catastrophique de la pandémie du Covid et une politique qui s'est traduite par une augmentation tout aussi catastrophique de l'extrême pauvreté et des inégalités, l'extrême-droite bolsonariste conserve une base de masse impressionnante.

Les deux exécutifs de gauche sont arrivés au pouvoir en s'appuyant sur des courants puissants au sein des classes populaires et moyennes. 

Au Brésil la criminalisation de Lula et sa mise en détention sur la base d'un coup monté, a produit un effet inverse dans l'opinion de gauche et son bilan social passé comme président avec un recul de la pauvreté et des réformes démocratiques a permis de mobiliser les forces de gauche, même si ce fut de justesse. 

Au Chili c'est sur le vaste mouvement social de 2019 que le Front Ample de Boric (une coalition de petits partis de gauche et d'associations) allié au parti communiste chilien sont parvenus a vaincre. Là encore difficilement.

 

Compromis ou compromissions ?

 

De plus la gauche chilienne a subi une lourde défaite lors du référendum en 2022 sur la nouvelle Constitution dont le principe avait été soutenu par 80% des Chilien-nes. Le projet préparé par une Constituante où le mouvement social (hors partis) était majoritaire n'a pas convaincu. Il a été rejeté 62% des voix contre 38% qui étaient favorables. D'autant plus inquiétant ce projet qui était la Constitution la plus démocratique d'Amérique Latine et l'une des plus démocratiques du monde a été rejeté à plus de 70% dans les communes populaires et même à 74% dans le Sud du pays où vivent les Mapuches peuple autochtone du Chili revendiquant ses terres et qui est encore victime de la répression du pouvoir central. Il y a bien eu un vote de classe contre un projet constitutionnel progressiste et social qui devait remplacer la Constitution de Pinochet.

Au Brésil comme au Chili les présidents et les gouvernements de gauche tentent de négocier chaque pas en avant. Cela étant ils mécontentent une partie de leur électorat déçu que les choses n'aillent pas aussi vite qu'espéré.  Des pas sont fait dans la bonne direction sur le plan fiscal, une taxe de 10 2 % sur les très grandes fortunes. Bien mais peu. Pour les retraites au Chili  le gouvernement a créé un fond de pension garanti par l'Etat mais on est loin de la répartition.

Les exécutifs de gauche s'ouvrent au courant social-libéral pour favoriser les compromis.

Lula a choisi comme vice-président un néo-libéral de droite.

Boric a ouvert son gouvernement à des anciens de la Concertation qu'il avait durement critiqué dans le passé. Le PC Chilien ne joue pas toujours son rôle d'aiguillon populaire. Ainsi il vote pour la militarisation (état d'exception) de la région du Sud contre les Mapuches. 

On peut s'interroger sur les liens organiques entre les gouvernements progressistes, composés d'éléments issus des classes moyennes, et les classes populaires.

 

Guerre de position

 

Mais il est clair qu'il n'y a pas de solution magique. Les rapports de forces ne sont pas statiques, la recherche de compromis n'est pas  synonyme de compromission. Les réponses aux attentes populaires dans la lutte contre la misère, pour la santé publique, l'école publique et les services publics en général, seront décisifs. Le risque existe de s'enliser dans une gestion technocratique et libérale. Reste que l'organisation politique et syndicale des mouvements sociaux dans toutes leurs dimensions (on a vu l'importance du féminisme au Chili comme au Brésil) s'impose face à un adversaire de classe disposant d'une grande puissance de feu.  Or existe aussi là-bas un rejet des partis. Si ce rejet ne tombe pas du ciel la nécessité de l'organisation reste centrale. Il y a là une contradiction qu'il faudra bien résoudre.

La combinaison de la lutte des classes et de l'action dans l'Etat et les institutions ne s'opposent pas, elles se complètent. D'autant que l'alternative est le retour au pouvoir des néo-fascistes. 

 

Antoine Manessis

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