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Mettons le doigt sur une contradiction qui peut avoir des effets sur les stratégies mises en place par les forces de gauche, les forces émancipatrices.

A gauche donc on lit, on entend, on dit - parfois les meilleurs comme Frederic Lordon mais bien d'autres encore, nous y compris - que le néolibéralisme, le capitalisme contemporain, mondialisé, hégémonique partout, de New-York à Pékin, de Moscou à Ryad, de Prétoria à Copenhague n'est plus disposé aux compromis.

Que le temps du welfare state est révolu. Que l'implosion de l'URSS et la mutation capitaliste de la Chine aidant, que la nouvelle physionomie du capitalisme ayant entraîné une atomisation, une parcellisation de l'ancienne classe ouvrière du XXe siècle, le rapport des forces dispense le capital de tout compromis avec le travail.

En France, par exemple, malgré de grandes mobilisations plus aucune victoire n'est à mettre au compte du camp populaire.

Du coup, dit-on, la stratégie social-démocrate n'a plus d'espace pour se déployer. Au XXe siècle jouant sur de puissantes organisations du mouvement ouvrier, de l'existence du bloc socialiste, de la peur de la révolution entretenue par l'existence de puissants partis communistes dans quelques pays (Italie, France, Afrique du Sud...), des mouvements de libération nationale et du mouvement des non-alignés, les compromis furent possible et l'espace politique de la social-démocratie dominant.

Désormais au XXIe commençant, c'est fini. Il est vrai que les partis sociaux-démocrates ont de fait rallié sans autre forme de procès le néolibéralisme. Certes avec des nuances par rapport aux droites mais sur les marges.

Bref la gauche sera radicale ou ne sera pas. 

Mais il y a un os. Comme souvent la réalité est plus rusée que nos constructions théoriques, même fondées sur les faits. Parce que nous oublions la dialectique, nous oublions Héraclite: "Polémos est le père de toute chose". 

Car observons bien. Nous sommes à peu près tous d'accord pour dire que l'espace géographique où ça bouge politiquement c'est l'Amérique Latine. Or que sont les gouvernements progressistes de cette zone sinon des processus sociaux-démocrates ? Chavez-Maduro, Moralés, Lula, Boric, AMLO, Petro, Kirchner...Ce sont eux qui mobilisent les masses et gagnent. Et durablement. 

Certes ce n'est pas la social-démocratie suédoise. On est en Amérique Latine avec son histoire et d'ailleurs aussi ses diversités, le Venezuela n'est pas la Bolivie. Mais en fait ces gouvernements s'appuient sur un rapport de forces pour imposer un compromis au capital et au grand voisin d'Amérique du Nord. Ces mouvements qui gagnent ne sont pas révolutionnaires, ce ne sont pas des partis révolutionnaires et ils ne font pas la révolution. Ils imposent des politiques plus sociales et plus démocratiques par la lutte, la mobilisation populaire. 

Bien entendu ces processus sont portés par des dynamiques dont, par définition, on ne connait pas l'aboutissement. Mais pour le moment ce que l'on constate c'est le caractère réformiste, et donc social-démocrate des mouvements populaires et de la gauche d'Amérique Latine.

Même Cuba, qui fut l'archétype de la gauche révolutionnaire et qui tenta même dans les années 1960 d'exporter son "modèle" à l'échelle du sous-continent, se "social-démocratise" en introduisant des réformes économiques et sociales d'inspiration "libérales".

 

Il y a donc bien là une contradiction entre un discours et la réalité même si la dérive extrême-droitière voire fascisante en Europe (Italie, France, Suède...) confirme l'impasse de la recherche d'un compromis. Mais en même temps nous devons constater que là où la gauche remporte des victoires en mobilisant les masses c'est avec des mouvements et des partis réformistes. Ce qui d'ailleurs suscite l'ire des dogmatiques : le KKE (PC de Grèce) dénonce "le soi-disant socialisme du XXIe siècle" du PSUV. Les petits PC orthodoxes du Mexique ou du Pérou s'opposent à leurs gouvernements de gauche accusés de collaboration de classe quand ils ne sont pas qualifiés de traîtres.

En fait la contradiction est l'expression de la diversité des situations, des rapports de forces et de l'implication des forces populaires, ouvrières, paysannes, indigènes, classes moyennes dans les processus politiques. Au Mexique AMLO est soutenu par les classes populaires avec leurs attentes et leurs exigences. C'est cela qui construit un rapport des forces qui permet ou non à l'Exécutif de répondre à ces attentes. Les bilans des gouvernements progressistes dans la lutte contre la pauvreté sont incontestables. Sans doute insuffisants mais les classes populaires prennent ce qu'il y a à prendre et savent ce que les droites feraient. Donc elles soutiennent ces gouvernements qui améliorent leur sort sans pour autant faire la révolution. On peut le regretter mais on cherche l'alternative...Depuis quelques décennies où voit-on la révolution et où la voit-on vaincre?

Même au Népal, après dix ans de guérilla, le PC maoïste a déposé les armes et joue le jeu parlementaire. Le chef de la guérilla Prachanda est redevenu premier ministre le 25 décembre dernier en changeant d'alliés. Même là-bas pas de révolution et de socialisme à l'ordre du jour. Plutôt la recherche d'un équilibre dans les rapports avec les deux grands voisins, l'Inde et la Chine, et une sortie des difficultés économiques qui accable le Népal. 

On le voit les choses sont toujours plus complexes que les formules théoriques même quand elles ont une part de vérité. Tenons donc compte de la multiplicité des situations avec un peu de finesse et d'ouverture d'esprit. Evitons les formules définitives et les jugements hâtifs. La vie nous réserve bien des surprises, bonnes ou moins bonnes, cela dépend aussi de nous.

Comme le disait Pasolini "il faut toujours parler et agir en fonction du concret et ne jamais devenir l’ennemi de la réalité".

 

Antoine Manessis.

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