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L'enlèvement d'Europe par Zeus, travesti en taureau. Céramique grecque, vase à figures rouges. Vers 340-320 av JC.

                   

 

Cet article de Stefano Palombarini "Italie: comment l’hégémonie néolibérale se renouvelle par une révolution apparente" date de 2018 et a été publié par Contretemps. Il n'a rien perdu de la pertinence de son analyse sur le fond et il ne peut que nous enrichir à partir de ses interrogations. C'est pourquoi nous en publions sur NBH quelques extraits qui nous semblent particulièrement intéressants dans le sens où, à contre-courant de beaucoup à gauche, il donne à lire la thématique de La dictature de Bruxelles comme une construction idéologique au service du bloc bourgeois.

Sans doute peut-on ne pas accepter sans nuances la vision développée par S. Palombarini. Mais il nous semble nécessaire d'en faire un élément de la réflexion à gauche, en particulier à la lumière du parcours de "souverainistes de gauche" qui ont eu des évolutions pour le moins inquiétantes vers le nationalisme, voire pire. 

Bonne lecture.

 

NBH

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"Italie: comment l’hégémonie néolibérale se renouvelle par une révolution apparente."
Stefano Palombarini
(Extraits)

 

La dictature de Bruxelles, une construction idéologique au service du bloc bourgeois

"La vision déformée de politiques nationales qui ne feraient que traduire les injonctions de Bruxelles est ancienne et répandue : elle concerne notamment les « nécessaires réformes » du marché du travail ou de la protection sociale qui ont caractérisé la dynamique italienne mais aussi française. Des réformes qui allaient bien évidemment dans la direction souhaitée et soutenue par les institutions européennes, mais sans que celles-ci n’aient le moyen de contraindre les gouvernements à les adopter : n’en déplaise aux souverainistes italiens, français ou d’ailleurs, ces mesures ont été autant d’expressions de la souveraineté nationale. Même la négation du résultat du référendum constitutionnel de 2005, qu’on peut à raison considérer comme une violence faite à une volonté populaire clairement exprimée, a été un choix délibéré du président Sarkozy et rien d’autre. Des choix différents auraient été possibles, si le pouvoir français de l’époque avait répondu à d’autres intérêts sociaux et décidé de suivre une autre stratégie.

La rhétorique qui voudrait que la politique économique et sociale soit imposée à des pays comme la France ou l’Italie par les institutions européennes, a été d’abord celle des partis se présentant comme européistes. Des éléments de langage de ce type étaient déjà présents dans les discours d’Alain Juppé ou de Romano Prodi il y a plus de vingt ans, et ont été sans cesse mobilisés depuis jusqu’à la présidence Hollande et au gouvernement Renzi. En réalité, il s’agissait d’acteurs nationaux qui poursuivaient souverainement un projet politique consistant à se dégager du clivage droite/gauche, producteur d’alliances sociales traversées par d’importantes contradictions et jugées comme fragiles : un projet qui a trouvé son expression accomplie en Italie en 2011 avec la formation du gouvernement Monti, et quelques années après, avec l’élection de Macron en France.

Dans le cadre de ce projet, les règles européennes (que les gouvernements en question ont d’ailleurs contribué à fixer) ont fonctionné à la fois comme point d’appui et comme source de légitimation, mais jamais comme une contrainte indépassable qui aurait obligé les pouvoirs nationaux à faire autre chose de ce qu’ils avaient choisi. Il est ainsi fondamental de prendre la mesure du caractère trompeur du récit souverainiste : le problème n’est pas, et n’a jamais été, de redonner la liberté à des peuples opprimés par la dictature des traités, mais de construire des alliances sociales cohérentes et majoritaires en mesure de soutenir une politique – en principe tout à fait possible et envisageable – de remise en cause radicale des traités. Ce sont les mécanismes de formation du soutien au niveau national qui, en passant par la fracture du bloc de gauche, sont à l’origine des politiques néolibérales ; et ça sera par la (éventuelle) constitution d’une alliance sociale différente et alternative au bloc bourgeois qu’on pourra en sortir.

De ce point de vue, il est essentiel de souligner que l’émergence du bloc bourgeois a impulsé une restructuration profonde du champ politique. Un mouvement, heureusement inachevé en France et désormais complètement abouti en Italie, qui voit aujourd’hui la grille de lecture des partis européistes devenir progressivement hégémonique chez leurs adversaires. Ainsi, c’est autour du souverainisme – et non pas de l’opposition au néolibéralisme – que Ligue et M5S ont pu agréger le soutien des groupes sacrifiés par l’action des gouvernements Monti, Letta, Renzi et Gentiloni.

En France, la situation est plus nuancée pour l’essentiel en raison du poids politique de la France insoumise, un mouvement qui échappe au clivage Europe/nation ; mais le deuxième tour de la dernière présidentielle montre qu’une perspective à l’italienne, si elle doit être à tout prix évitée, n’est guère à exclure. La réduction de l’affrontement politique à ce clivage est en tout cas l’objectif partagé par Macron et Le Pen. Ainsi, la tentative du Président de se désigner en héros du progressisme opposé au nationalisme et l’ambition de Le Pen de se présenter comme le rempart d’une démocratie menacée par la construction européenne, se renforcent mutuellement car elles relèvent de la même logique : celle d’un champ politique qui n’aurait plus dans la droite et la gauche, mais dans l’Europe et la nation ses polarités structurantes."

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