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Le rejet quasi fanatique du "wokisme" par une gauche fossile est un épiphénomène mais révélateur de la décomposition d'un dogmatisme qui finit par parler et, pire, à penser comme l'extrême-droite.

Un mot d'abord sur le wokisme. Le terme anglo-américain woke, éveillé, désigne le fait d'être conscient des problèmes liés à la justice sociale, à l'égalité raciale, au féminisme et au décolonialisme.

A priori la gauche peut se reconnaître sans difficulté dans cette démarche. Alors  pourquoi quelques tromblons se réclamant de la gauche joignent-ils leur voix à la réaction la plus obscure pour lutter, comme si c'était là une urgence, contre le wokisme réel ou imaginaire?

Il y a là bien sûr des enjeux politiques mais aussi générationnels. Ainsi la vieille gauche obsolète et dogmatique attaque le wokisme en lui reprochant de mettre les questions sociales au second plan par rapport aux questions "sociétales". On a déjà dit ici combien cette approche est source de dérives politiques. Les questions de genre, de racisme etc sont des questions sociales comme la lutte pour le salaire ou les services publics. Ni plus, ni moins. Et nous avons à articuler les concepts de classe, de genre et de race sans hiérarchiser.

Il y a également une dimension nationaliste dans l'anti- wokisme. "Ses promoteurs, souvent américanisés, ont fait de la France une cible", "Alors au wokisme, il faut opposer la France", "Préférons donc l’histoire de notre pays qui a fait de Gaston Monnerville, « homme noir », le président du Sénat de 1958 à 1968 alors que, dans le même temps aux Etats-Unis, on séparait les noirs des blancs dans les lieux publics. C’est cela la France. C’est cela la République." ,"Cette idée française de la liberté est insoutenable pour les « wokes » face au « wokisme », nous devons faire France". "Alors, face au vent d’obscurantisme qui traverse aujourd’hui Sciences Po Grenoble ainsi que de nombreux établissements Français d’enseignement supérieur, je demande la mise sous tutelle de l’établissement et l’ouverture d’une commission d’enquête parlementaire sur la situation des universités Françaises". Toutes ces citations  sont de François Jolivet député LREM de l’Indre (dans sa tribune dans L'Opinion de décembre 2021). 

On pourrait se dire que cet élu macroniste qui sort d'une école de commerce et qui fut LR jusqu'en 2017 est, comment dire, particulièrement limité. Sans doute. Mais son discours ultra-réactionnaire se retrouve chez tous les anti-woke. De Jean-Michel Blanquer à Zemmour en passant par Valls. Blanquer qui osait "La beauté de l'antiracisme c'est l'universalisme" pensait-il à Voltaire ou à la Traite ?

Notons qu'ils fabriquent des "fake news" pour pouvoir attaquer. Ainsi l'affaire de Sciences Po Grenoble est-elle une construction médiatique. Sciences Po Grenoble n'a jamais vu de "mise au ban" d'un de ses profs. Juste la réaction indignée d'étudiants et de sa hiérarchie face à ses propos racistes islamophobes. Et depuis Sciences Po a un fonctionnement parfaitement normal.

Que cela plaise ou non aux censeurs et aux dinosaures, il y a une sensibilité nouvelle, un renouvellement de la pensée critique, une intelligence critique qui touche à tous les sujets. Sans négliger la question sociale mais en y adjoignant les autres. C'est l'intersectionnalité tant détestée par les réactionnaires, de droite et (prétendument) de gauche, qui en ont fait un fétiche de leur détestation de l'esprit critique en mouvement.

La remise en cause ou plutôt le dévoilement critique de ce que contient la "civilisation" et  les "valeurs". est insupportable tant à la réaction qu'à la gauche momifiée. Les deux courants se retrouvent d'ailleurs pour dénoncer "l'esprit de 68", "les cultural studies" etc...Et on coupait les cheveux des garçons aussi bien dans la Grèce des Colonels qu'à la frontière bulgare.

Ils dénoncent encore ensemble la "cancel culture". De quoi s'agit-il ? Imaginez-vous que des hordes d'islamo-gauchistes exigent (aux Etats-Unis) que la statue d'un général sudiste et propriétaire d'esclaves quitte son piédestal. Ou encore dénoncent (en France) le rétablissement de l'esclavage par Napoléon et la prise en compte de cet événement dans l'analyse critique de son action. Notons qu'en revanche quand plusieurs Etats du Sud des Etats-Unis interdisent de bibliothèque les œuvres de Toni Morrison ou interdisent l'IVG tout en conservant la peine de mort, on n'entend plus guère les anti-woke. Parce que derrière ces débats se cachent les luttes entre les mouvements émancipateurs et les réactionnaires. Derrière ces débats, la lutte. Des classes, contre le racisme, pour le féminisme...  

Pour les vieux saisir les mutations idéologiques n'est pas facile tant l'idéologie dominante, justement, domine. Prenons un exemple. Décoloniser Vénus. A priori on se dit (à 70 ans comme moi): le mythe de la naissance de l’Aphrodite, sa réception classique à la Renaissance, le tableau de Botticelli...point final.  De quoi parlent-ils donc ces wokes en voulant "décoloniser" Vénus ? Or Vénus-Aphrodite dans notre société post-coloniale mais non dé-colonisée c'est  la constitution d’un corps théorique esthétique. C'est l'imposition dans le monde d'un modèle, celui du plus fort, du maître, du civilisé. Voila la réflexion qu'exige le wokisme.

Les valeurs affichées par les classes dirigeantes sont simplement leurs habitudes et leurs goûts érigés au rang de civilisation supérieure. Comme étalon du beau et du vrai. Mais il est bien connu que "l'homme africain n'est pas entré dans l'histoire". Alors comment la femme noire pourrait être un corps théorique esthétique ? 

Alain Finkelkraut, un des hérauts de la pensée réactionnaire et fascisante, révèle ce que cache le pseudo-républicanisme, le pseudo-universalisme de cette mouvance lorsqu'il déclare à FigaroVox : "La France insoumise, c’est le nom que se donne la France soumise à l’islamisme".

Et oui, "adieu veaux, vaches, cochons, couvées"...Universel, République et laïcité. C'est le visage hideux du racisme, d'une vision colonialiste, misogyne et centralement islamophobe qui apparait là au grand jour. L'écho au judéo-bolchevisme du XXe siècle est évident, l'islamophobie d'aujourd'hui remplaçant la judéophobie d'hier.

Bref combattre le wokisme n'est en fait qu'une manière sournoise de combattre les luttes émancipatrices. Et qu'on ne se cache pas derrière des exagérations qui existent évidemment mais qui ne mettent pas en cause les constructions idéologiques des uns et des autres. Constructions idéologiques en conflit.

 

Antoine Manessis.

 

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