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Shlomo Sand* explique que le principal problème de la gauche est son manque de stratégie politique. Il ajoute - ce qui, ô combien ne peut que nous convenir -  "Un nouveau bloc historique entre les classes sociales est la condition du changement." Ajoutant "C'est ce que défendait Gramsci: toute conquête sociale implique que la classe ouvrière sorte de son isolement et qu'elle crée autour d'elle un bloc historique". Mais il ajoute "Pour l'instant je ne le vois pas".

Ce trou noir stratégique de la gauche de transformation est en effet central dans la situation politique contemporaine et cela presque partout.

Situation d'autant plus préoccupante qu'à l'extrême-droite une véritable stratégie se met en place. 

Comment dessiner le contours de ce qui se met en place ?

Le FN devenu RN a connu ces 50 dernières années une progression fulgurante sur le long terme. De la quasi inexistence (fondation 1972) à la présence, deux fois, au 2e tour des présidentielles (la dernière fois en 2017). Si sa ligne politique a varié, s'adaptant aux vents dominants à droite, sa nature fasciste (lors de son baptême) puis néo-fasciste a été permanente. L'anticommunisme et le racisme furent ses deux piliers fondateurs. Si l'un de ces deux fronts s'est atténué faute de combattants, le racisme reste un thème pivot et identifiant du RN. La "dédiabolisation" entreprise par Marine Le Pen fut purement tactique et n'a rien changé, sinon éviter des excès verbaux nuisibles au mouvement. Le racisme a progressivement gagné son "acceptation" sociale parallèlement à l'approfondissement de la crise du capitalisme et au ralliement du PS au néolibéralisme. C'est après 1983 et la "parenthèse" de la rigueur que le FN commence sa conquête d'une fraction de masse de l'électorat.

Le RN et sa dirigeante afin de s'approcher du pouvoir a été obligés de se délester d'un certain nombre de thématiques comme la sortie de l'euro ou de l'UE tout en conservant un euroscepticisme exprimé sous la forme de "l'Europe des patries". Rejoignant ainsi le même parcours que les autres extrêmes-droites en Europe. Grande-Bretagne exceptée puisque là-bas c'est le parti conservateur qui a joué la carte du Brexit.

Plafond de verre ou pas, les politologues aiment à en débattre, le RN seul ne semblait pas en mesure de parvenir au pouvoir. La victoire de Macron et son positionnement "et de gauche et de droite" c''est-à-dire à l'usage (on pouvait le deviner avant) de droite a affaibli la droite classique (LR) coincée entre le RN et Macron. C'est alors qu'un courant s'est affirmé, disons pour simplifier à la droite extrême, pour unir, fédérer  les droites.

Ce courant est incarné par Eric Zemmour, Robert Ménard, Gilbert Collard, Eric Ciotti, Guillaume Peltier, Laurent Wauquiez et bien d'autres. Mais aussi (surtout?) par Marion Maréchal Le Pen. On se souvient de la Convention de la droite organisée par elle et pour elle et dont Zemmour fut l'animateur principal, véritable prédicateur de la guerre des races. Il y eut même le crétin utile prototypique Raphael Enthoven qui intervint pour "porter la contradiction" légitimant ainsi le raout néo-conservateur. 

Ceux-là veulent un grand parti de droite synthétisant les deux rameaux, droite et extrême-droite, du même arbre réactionnaire et contre-révolutionnaire. Les courants issus de Joseph de Maistre, l'abbé Barruel, Hippolyte Taine, Adolphe Thiers, Edouard Drumont, Charles Maurras, le catholicisme "traditionnel", Philippe Pétain...Ce courant, vaincu après la Seconde Guerre Mondiale, laissa la place à droite au christianisme social et à une technocratie modernisatrice. Mais progressivement elle s'infiltra dans le mouvement gaulliste puis les partis de droite dont ils devinrent une composante alors qu'une autre fraction maintenait la tradition extrémiste (Occident, Ordre Nouveau, Front National...).

Le projet stratégique de l'extrême-droite et de la droite extrême est donc de dépasser ce clivage historique, de constituer un grand parti conservateur qui serait le pendant français du parti républicain des Etats-Unis d'Amérique. 

Pour parvenir à cet objectif et obtenir le soutien indispensable du grand capital, le courant Zemmour-Marion Maréchal, délaisse la démagogie sociale caractéristique des fascismes quand Marine Le Pen poursuit la tradition et avance donc masquée. C'est d'ailleurs là la difficulté la plus importante pour l'extrême-droite : comment conserver une base de masse populaire tout en donnant des gages au grand capital. D'où les divergences tactiques entre la tante et la nièce.

Pour la droite classique disons pour faire simple juppéiste, il y a là un danger existentiel en tant qu'organisation politique menacée par l'absorption par la Macronie et la tentation néo-fasciste.

Pour la gauche l'enjeu est évidemment vital. Son écrasement et sa disparition, à l'italienne, laisse le jeu se dérouler entre les néolibéraux macroniens, de plus en plus autoritaires car de plus en plus impopulaires et les néolibéraux néo-fascistes qui apparaitraient comme l'alternative.

L'élaboration d'une stratégie digne de ce nom, la participation à tous les niveaux des classes populaires à une grande organisation de gauche, la relève générationnelle, la participation des intellectuels dans l'esprit "cent fleurs s'épanouissent, et cent écoles rivalisent", la revitalisation du mouvement syndical en synergie avec l'organisation politique, sont des pistes qu'une démonstration de force de l'Union Populaire aux prochaines présidentielles et aux législatives de 2022 pourrait ouvrir.

Vaincre la défiance et le rejet populaire à l'égard de la politique, de l'organisation politique, transformer le ressentiment en espérance afin que les secousses politiques et sociales à venir ne débouchent que sur du néant, voir le renforcement de l'extrême-droite seront des tâches difficiles. La première étape de cette dynamique se jouera en avril 2022.

Que chacun s'en rende bien compte.

 

Antoine Manessis.

 

 

* Shlomo Sand est un historien israélien, auteur de nombreux ouvrages dont Comment le peuple juif fut inventé qui l'a fait connaître mondialement et qui vient de publier Une brève histoire mondiale de la gauche. Homme de gauche et antisioniste.

 

 

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