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La nef des fous (détail) - Hiëronymus Bosch

                                       

 

 

"A la question, faut-il choisir aujourd’hui notre candidat pour les présidentielles de 2022 ?" un de nos nombreux groupuscules "marxistes-léninistes" qui font notre délice répond :

"...la question "qui va diriger le pays après le mouvement populaire qui l’ébranle aujourd’hui" n’est pas une question pertinente". Fermer le ban.

Ahurissant ? Surréel ? Oui. Mais pas si l'on s'inscrit dans ce que Jean-Pierre Chabrol appelait La folie des miens (Gallimard 1977) ou Alain Ruscio dans Nous et moi (Éditions Tirésias 2003).

Revenons à nos moutons. Nos amis n'ont pas toujours pensé ainsi puisqu'ils avaient un candidat virtuel mais "Nous avons constaté que nous n’atteignions pas le nombre requis des parrainages pour présenter un candidat aux élections présidentielles". Donc si 1+1 font toujours 2, cela veut dire que la question du candidat a été envisagée. Que le groupe a tenté (?) de réunir les 500 signatures et donc que la question de choisir un candidat était pertinente, contrairement à ce qu'affirme ce texte.

Si on comprend la "logique du raisonnement" cela veut dire : si nous avions un candidat la question du candidat aux présidentielles est pertinente, sinon elle ne l'est plus. Faire politiquement plus absurde, c'est difficile.

Face au "développement vigoureux des luttes revendicatives, tant en intensité qu’en qualité, dans toutes les régions de notre pays" (ah, bon ?) "Sachons aussi que ce sont les progrès de la conscience populaire qui décideront d’abord du niveau de la violence de la suite de l’événement qui se prépare, puis de son issue". Mystérieuse affirmation : quel est le lien entre les "progrès de la conscience" et "le niveau de la violence de la suite de l'évènement qui se prépare" ? Et de quel événement s'agit-il ? On en saura rien.

D'ailleurs "les mouvements véritablement populaires produisent les chefs dont ils ont besoin, et ceux-ci rentrent dans le rang lorsque leur rôle est achevé". Première nouvelle. On se demande si ce texte n'est pas une parodie, une caricature volontairement comique. Quand on sait que la mort seule parvenait à provoquer un changement à la tête des "mouvements populaires", cela a vraiment un caractère délirant. Et pas seulement dans le passé...

Mais le texte nous en sort de belles dans le genre "théâtre de l'absurde" : "nous devons l’éclairer (la conscience des masses) en avançant au même rythme que les travailleuses et les travailleurs, juste un pas en avant de leur position !…C’est assez difficile lorsque comme aujourd’hui, le développement des luttes produit un intense brassage des consciences des travailleuses et des travailleurs !" Éclairer qui que ce soit avec un tel galimatias, certes, c'est assez difficile. En tous les cas celui qui comprend ce que cela veut dire gagne un séjour de 8 jours dans une datcha des Komsomols en Crimée... Pourquoi pas, puisqu'on navigue dans l'absurdie. A part la reprise de la thématique, dont on connaît les dégâts, de la conscience que le Parti apporte à la classe et aux masses, que dire de "l'intense brassage des consciences"...? 

Ces considérations, totalement absconses, cachent en fait un véritable embarras, une gêne, un trouble devant le fiasco d'une tactique absurde. Comment atterrir après une pseudo-candidature et une pseudo-campagne totalement ignorée des masses ? Et alors même que des groupes et des individus idéologiquement proches ont compris que soutenir Mélenchon était la seule option tenable.

Le texte nous dit : "le problème essentiel qui se pose à nous est de participer aux débats politiques inhérents au mouvement populaire". Ben justement, camarades ! Le mouvement populaire n'est pas, ne peut pas être indifférent au fait de savoir si Mélenchon ou Macron ou Zemmour sera président de la République. Prétendre que la question "n'est pas pertinente" c'est, une fois de plus de la part des sectateurs, ignorer et nier la réalité la plus élémentaire. Participer aux débats politiques c'est aussi et de façon centrale, que cela nous plaise ou non, se prononcer sur les présidentielles. 

"Le nom du candidat ne résume pas la question de la mobilisation politique" nous dit-on. Certes, mais elle incarne une ligne, un programme, des forces sociales, des dynamiques politiques, sociales et culturelles. Le nom du candidat permet, aide à mobiliser. Les institutions de la Ve République sont ce qu'elles sont et nous voulons tous une VIe République. Mais en attendant on fait avec. Jacques Duclos en 1969 a fait un score de plus de 21% et son nom ne "résumait pas la mobilisation politique" mais elle a joué comme un vecteur important.

A quoi servent les candidatures de Nathalie Artaud, Philippe Poutou, Anasse Kazib et même de Fabien Roussel dans la conjoncture actuelle ? Pas en principe, non, mais dans la situation particulière qui est celle des forces progressistes, de gauche, en France, ici et maintenant ? Poser la question suffit.

Nous avons déjà écrit que le premier tour sera décisif et il est consternant que des militants de gauche ne le voient pas. Qu'ils fassent l'impasse sur cette élection présidentielle qui peut devenir moment de résistance sociale et démocratique et l'amorce d'une dynamique politique. Prétendre que cela n'est pas "pertinent" n'est pas seulement stupide, c'est une faute politique majeure.

De toute évidence certains à l'extrême-gauche (trotskistes ou orthodoxes) sont incapables de saisir ni les rapports de forces, ni les enjeux des présidentielles et donc d'en tirer sans gesticulations, postures et simagrées, la seule conclusion possible : voter et faire voter pour le candidat de l'Union Populaire, Jean-Luc Mélenchon.

 

Et pour la route un texte de Friedrich Engels pour méditer sur l'usage du suffrage universel :

Si le suffrage universel n’avait donné d’autre bénéfice que de nous permettre de nous compter tous les trois ans, que d’accroître par la montée régulièrement constatée, extrêmement rapide du nombre des voix, la certitude de la victoire chez les ouvriers, dans la même mesure que l’effroi chez les adversaires, et de devenir ainsi notre meilleur moyen de propagande ; que de nous renseigner exactement sur notre propre force ainsi que sur celle de tous les partis adverses et de nous fournir ainsi pour proportionner notre action un critère supérieur à tout autre, nous préservant aussi bien d’une pusillanimité inopportune que d’une folle hardiesse tout aussi déplacée – si c’était le seul bénéfice que nous ayons tiré du droit de suffrage, ce serait déjà plus que suffisant. Mais il a encore fait bien davantage. Avec l’agitation électorale, il nous a fourni un moyen qui n’a pas son égal pour entrer en contact avec les masses populaires là où elles sont encore loin de nous, pour contraindre tous les partis à défendre devant tout le peuple leurs opinions et leurs actions face à nos attaques : et, en outre, il a ouvert à nos représentants au Reichstag une tribune du haut de laquelle ils ont pu parler à leurs adversaires au Parlement ainsi qu’aux masses au dehors, avec une tout autre autorité et une tout autre liberté que dans la presse et dans les réunions. À quoi servait au gouvernement et à la bourgeoisie leur loi contre les socialistes si l’agitation électorale et les discours des socialistes au Reichstag la battaient continuellement en brèche.
Mais en utilisant ainsi efficacement le suffrage universel le prolétariat avait mis en œuvre une méthode de lutte toute nouvelle et elle se développa rapidement. On trouva que les institutions d’État où s’organise la domination de la bourgeoisie fournissent encore des possibilités d’utilisation nouvelles qui permettent à la classe ouvrière de combattre ces mêmes institutions d’État. On participa aux élections aux différentes Diètes, aux conseils municipaux, aux conseils de prud’hommes, on disputa à la bourgeoisie chaque poste dont une partie suffisante du prolétariat participait à la désignation du titulaire. Et c’est ainsi que la bourgeoisie et le gouvernement en arrivèrent à avoir plus peur de l’action légale que de l’action illégale du Parti ouvrier, des succès des élections que de ceux de la rébellion.

Car, là aussi, les conditions de la lutte s’étaient sérieusement transformées. La rébellion d’ancien style, le combat sur les barricades, qui, jusqu’à 1848, avait partout été décisif, était considérablement dépassé.

Friedrich Engels, 

Introduction aux Luttes de classes en France (1895), Éditions sociales, Paris.

 

 

Antoine Manessis

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