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Piatakov et Staline

                                                               

 

Ainsi donc Gueorgui Piatakov a bien pris un avion à Berlin en décembre 1935 pour rencontrer tout aussi secrètement Trotsky. Ce que Trotsky a nié et Piatakov avoué lors de son procès à Moscou en 1937 à l'issu duquel il fut fusillé. C'est ce que nous dit un livre écrit par trois essayistes italiens Daniele Burgio, Massimo Leoni et Roberto Sidoli et dont le titre choc est Le Vol de Piatakov. La collaboration tactique entre Trotsky et les nazis (Éditions Delga).

Qui était Gueorgui Piatakov ?

Né en 1890, membre du POSDR depuis 1910. Arrêté en 1912, déporté en Sibérie il s'évade et s'exile en Suisse. En 1915 il s'oppose à Lénine, exilé lui aussi en Suisse, sur la question des nationalités. Rentré en Russie en 1917 il participe à la Révolution. Il est Commissaire du peuple à l'Ukraine. De décembre 1917 à novembre 1918, Piatakov assure les responsabilités de commissaire en chef de la Banque de Russie. Pendant la guerre civile, il montre ses talents d’organisateur et un réel courage physique. En janvier 1918, jugé trop à gauche, Piatakov est remplacé en Ukraine par Christian Rakovski ( ce dernier, proche de Trotsky, sera fusillé en 1938). Pendant les années de guerre civile il est proche de Nicolaï Boukharine et des communistes de gauche.

1923 voit son entrée au Comité central. Il s'oppose au cours bureaucratique pris, selon lui, par la Révolution bolchévique. Il n'hésite pas à jouer un rôle de porte-parole des opposants. Piatakov rejoint peu à peu les rangs d'une Opposition unifiée liguée contre Staline. L'opposition battue, il est exclu du Parti en 1927. Mais il retrouve des postes de responsabilité, notamment au commissariat à l’industrie lourde, où ces succès lui valent d'être réélu au Comité central en 1930 et 1934.

Mais en 1936 Piatakov est arrêté et se retrouve le principal accusé du second procès de Moscou de janvier 1937, dit du "Centre antisoviétique trotskiste de réserve". Il lui est reproché de comploter avec l'Allemagne nazie visant la destruction de l'URSS. Il se retrouve accusé avec Karl Radek et quelques autres.  

Piatakov et de Radek refuseront avec courage certaines des charges retenues contre eux tout en acceptant certaines accusations, le premier est condamné à mort, le second écope d'une peine de prison. Piatakov est condamné à mort et fusillé. Radek meurt en prison sous les coups anonymes de "besprizorniki" (enfants vagabonds). Durant le procès Piatakov reconnaît toutefois "des agissements criminels" en faveur de Trotski, notamment son arrivée "à bord d'un avion allemand" pour y rencontrer Trotsky alors réfugié en Norvège.

 

Et voilà donc que le livre Le Vol de Piatakov semble confirmer cet événement. Passons sur la croix gammée inscrite sur le visage de Trotsky en une du livre. Cela symbolise un amalgame pour le moins peu élégant et même franchement détestable.

Mais en quoi cela est-il important ? La thèse du livre est "qu'objectivement" Trotsky était engagé dans une collaboration "tactique" avec les nazis. Donc que Trotsky escomptait une défaite de l'URSS dans une guerre contre l'Allemagne et qu'au prix de concessions territoriales (l'Ukraine) il pourrait prendre le pouvoir en Russie.

Avouons tout de suite que le ridicule de cette perspective fait douter.

Trotsky était-il assez stupide pour imaginer un tel arrangement quelle que soit sa vindicte à l'égard de Staline (et réciproquement) ? Même Piatakov prétend le lui avoir déconseillé et même condamné la supposée initiative trotskiste. Les nazis, anti-communistes et anti-sémites, pouvaient-ils miser sur un pareil cheval et dans quel intérêt ? Car pour qu'une "collaboration tactique" s'établisse entre deux partenaires encore faut-il saisir l'intérêt de ceux-ci. Or, rien ne permet de penser que Trotsky (juif et communiste) entrait dans leurs plans. L'histoire du "deal" ne tient que difficilement. Que des Ukrainiens indépendantistes et fascistes (les supplétifs ukrainiens des nazis ont laissé des traces sanglantes dans l'histoire) aient rêvé d'indépendance ukrainienne en profitant de la défaite soviétique, on peut l'admettre. Mais on a vu que le Reich ne fut jamais tenté par ce genre de manœuvre en URSS, engagé qu'il était dans une guerre d'extermination et de colonisation de tous les territoires soviétiques, Ukraine incluse.

Une fois encore le culte dogmatique des archives sans contextualisation et recul critique montre ses limites.

A notre sens, le déroulement de l'histoire, les faits, le réel ont montré que Trotsky s'était trompé sur les grandes questions en discussion au sein du parti communiste (bolchevick) de Russie et de sa direction. Toutes les critiques de Trotsky à l'égard de la direction stalinienne n'étaient pas infondées mais globalement les événements ont démontré la validité des choix fondamentaux de la direction soviétique tel le socialisme dans un seul pays, la politique de front populaire, puis, durant la guerre, de front national, la politique d'industrialisation à marche forcée et son corolaire la collectivisation brutale. Ces choix furent d'ailleurs le résultat de choix précédents et de leurs résultats moins pertinents (euphémisme): classe contre classe, dénonciation du social-fascisme etc. Mais enfin, une fois encore, Moscou, Stalingrad, Koursk et Berlin sont des faits et ces faits sont le résultat de choix politiques. 

Ces derniers doivent être soumis à la critique étant donné la fin de de l'URSS. Mais Stalingrad n'est pas effacé par Eltsine. Quand on connaît la fin d'une histoire on peut prétendre ce que l'on veut. Reste que "les faits sont têtus". Ce n'est pas l'échec final du soviétisme qui doit donner raison à ceux qui, en toute bonne foi, étaient, comme Boukharine, sceptiques sur la collectivisation et l'industrialisation puisque ces choix ont permis d'écraser le nazisme. Que le temps long permette une critique radicale de cette période historique est une chose, refaire l'histoire en est une autre.

Quant à l'actualité et l'urgence de troubler le sommeil éternel de Lev Davidovich et Iossif Vissarionovitch, elles ne nous semblent pas s'imposer. Surtout pour ouvrir des polémiques vaines plutôt que de faire de l'histoire. Une fois encore l'instrumentalisation de l'histoire frappe.

On peut plutôt tenter, comme le conseillait Scott Fitzgerald, de "se fixer sur deux idées contradictoires sans pour autant perdre la possibilité de fonctionner". Et le vol de Piatakov n'y change pas grand chose...

 

Antoine Manessis

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