Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

                                                                  Edward Hooper

 

 

Certains se souviennent de Soleil vert, un film du metteur en scène américain Richard Fleischer, réalisé en 1973. On peut aisément le voir.

Le film de Richard Fleischer se déroule en 2022 à New York, devenue une mégalopole Les personnages du film évoluent dans une atmosphère étouffante et soumise à la pollution. La vie urbaine baigne dans une ambiance de corruption et de violence. La température générale a augmenté, et les conditions de vie sont devenues épouvantables.. Ses résidents, à l’exception des plus nantis, vivent dans des décharges ou dorment dans les escaliers d’immeubles délabrés. Règne en permanence une température d’au moins 33 °C. L’eau courante est une denrée rare. La végétation a presque disparu. La violence policière soumet la masse des habitants. La plupart de ceux-ci ont accès à une unique nourriture, livrée un seul jour de la semaine : le Soleil vert, un aliment en forme de tablette fabriquée à partir de plancton. Quant aux vieux ils sont euthanasiés, passé un certain âge ils sont "encouragés" à mourir. Comme l'écrivait l'écrivain suédois Karl-Henning Wijkmark dans son livre La mort moderne*, une dystopie publiée en 1978 qui se déroule en Suède dans un avenir indéterminé mais que l'on sent proche, il faut organiser la mort des plus de 70 ans via "une obligation librement consentie." Un vocabulaire qui sent bon la Macronie...

L’époque était aux frémissements de la prise de conscience écologique. Charlton Heston, vedette du film, était à l'époque progressiste, il s'était impliqué en faveur du mouvement des droits civiques. Il symbolisait à sa manière la conscience de gauche américaine. Le voir brandir le poing, à la manière des Black Panthers, pour révéler que le Soleil vert est fabriqué à partir d’humains et non de plancton, avait un écho avec l'actualité politique des Etats-Unis. Les luttes pour l'émancipation portaient celle de la survie de notre espèce.

La pensée marxiste avait considéré la classe ouvrière industrielle comme la base sociale d'une transformation révolutionnaire de la société. L'écart grandissant des niveaux de vie entre les ouvriers et les classes moyennes radicaliserait les premiers, qui embrasseraient les principes et la pratique du socialisme. Mais en mars 1978, Eric Hobsbawm a prononcé une conférence dans laquelle il a demandé si  "La marche en avant du travail et du mouvement ouvrier" avait été interrompue. Sa réponse, sans surprise, était "oui" et il a souligné que le prolétariat traditionnel diminuait maintenant en nombre à mesure que les économies avancées faisaient la transition vers des sociétés postindustrielles basées sur les services. La mondialisation, les délocalisations et l'automatisation ont causé de graves dommages à l'emploi et aux salariés. Les changements sociaux radicaux du dernier demi-siècle ont largement laissé l'ancienne classe ouvrière de côté. Les syndicats et les partis du mouvement ouvrier ont été les victimes de cette transformation, leur déclin accéléré est dû non seulement  à des facteurs structurels mais aussi à des interventions gouvernementales de plus en plus hostiles et violentes. 

Au cours des décennies qui ont suivi, les liens entre la gauche et les travailleurs ont été largement rompus, la gauche s'incarnant au sein des "classes moyennes" (petite et moyenne bourgeoisie) et la classe ouvrière étant la fois atomisée et politiquement de plus en plus éloignée de la gauche communiste (sans base sociologique et sans stratégie) et socialiste (qui ralliait les politiques néo-libérales) et les deux fracassées par la défaite historique de 1990.

Les conditions objectives des travailleurs d'aujourd'hui sont très différentes de celles auxquelles ils étaient confrontés il y a un siècle. Dans le monde capitaliste avancé, les cheminées et les usines de production de masse ont été démantelées, les bases de fabrication se rétrécissent et les emplois de service ont remplacé les emplois en usine. De plus, les conditions de vie des travailleurs sont aujourd'hui très différentes de ce qu'elles étaient alors. Leur vie sociale est plus individualisée et ils sont moins ancrés dans l'action collective, mais ils ont un accès universel à la communication de masse. Ce sont des circonstances très différentes de celles auxquelles les militants et partis de gauche ont été confrontés dans les années 1920. Les stratégies et les tactiques qui ont été forgées dans le passé ne peuvent simplement pas être importées dans le répertoire que les progressistes peuvent envisager aujourd'hui. D'où, par exemple, l'échec absolu des intégristes du bolchevisme.

L'espace politique dans le capitalisme avancé est presque entièrement hégémonisé par les élites dirigeantes - économiquement, politiquement et culturellement. Les organisations ouvrières de combat sont peu nombreuses et n'ont qu'une petite base de masse. L'alternative de gauche, populaire, progressiste n'a pas la crédibilité qui la rendrait mobilisatrice. La plupart des partis de gauche sont maintenant soit extrêmement affaiblis, soit disparus, soit complètement compromis. La classe elle-même est atomisée et désespérée, même si son ressentiment grandit, et la petite et la moyenne bourgeoisie sont indifférentes ou hostiles ou confuses, fonçant vers tous les pièges que lui tend la bourgeoisie.

Une issue?

A la place de "l'évolution révolutionnaire" nous constatons un pourrissement du capitalisme qui, en se décomposant, détruit l'humanité. Au sein des gauches désemparées des tentatives s'esquissent timidement pour combiner la radicalité et le rassemblement.

En Italie nous avons une vision de ce qui se produit sans espace de gauche: un gouvernement de l'oligarchie capitaliste dirigé par le représentant de la finance, Draghi, et soutenu par tous les partis, de la Ligue (néo-fasciste) de Salvini au PD (social-démocrate) en passant par la droite et le M5S. Seuls restant dans l'opposition les néo-mussoliniens de Fratelli d'Italia laissant ainsi la possibilité d'une alternance fasciste au cas où le gouvernement Draghi ne parviendrait pas à ses fins funestes.

En France nous avons la possibilité de briser cette sinistre perspective en appuyant les luttes populaires, même si certaines sont baroques et hétérogènes, qui révèlent l'ampleur de la colère de notre peuple : qu'en fin juillet-début août 400.000 personnes manifestent dans le pays, ça tout de même une signification! Et en offrant une perspective de débouché politique à ce bouillonnement, perspective qui ne peut être que le soutien à la candidature de JL Mélenchon. Si ce dernier échoue, si collectivement nous échouons, dans ce qui est peut-être une ultime tentative, le sort de l'Italie nous attend et donc la liquidation d'un espace politique de gauche en France. Que ceux qui soutiennent  les candidatures de diversion à gauche, car elles ne sont rien d'autres, et qui affaiblissent celle du candidat de l'Union Populaire prennent leurs responsabilités.

On ne pourra pas dire que nous ne savions pas.

 

Antoine Manessis.

 

* La mort moderne a été réédité en 2020 chez Rivages avec une postface de l'auteur.

Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :