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Manifestation du 14 juillet 1935
Parfois le récit mythique, vite transformé en dogme, submerge la réalité. Celle-ci prend tôt ou tard sa revanche. Mais certains sont dans un tel déni des faits - et ils se disent léninistes... - qu'ils s'enferment dans la répétition inlassable de leur "vérité alternative". L'analyse métaphysique de la situation imaginaire remplace la célèbre formule* de Lénine. Les moulins à prières tibétains les inspirent davantage dans leur processus mentaux que les processus historiques dans leur complexité et leur richesse.
L'analyse du Congrès de Tours est éloquente à cet égard. Relevant de la pensée magique plus que la dialectique marxiste, nos Diafoirus ès-révolution nous expliquent doctement ce qu'il faut retenir de Tours :
- il faut une rupture entre réformistes et révolutionnaires,
- et constituer un parti révolutionnaire,
- enfin la cause de la marginalisation du parti communiste tient à son abandon du "marxisme-léninisme".
Tout cela est bel et bon mais, comment le dire sans vexer personne, les choses ne ce sont pas passées ainsi.
On a dit combien le refus de la guerre impérialiste de 1914-1918 et de "l'union sacrée" furent progressivement rejetés par les gauches dans leur diversité (socialistes, syndicalistes révolutionnaires, anciens combattants, anarchistes, pacifistes, féministes etc). Mais n'oublions pas que Marcel Cachin fut favorable à "l'union sacrée" comme Jules Guesde. Qu'Henri Barbusse fut volontaire pour combattre. Que Paul Vaillant-Couturier reçut plusieurs distinctions, cinq citations à l'ordre de l'armée, la médaille militaire et la Croix de guerre 1914-1918 avant de cofonder l'ARAC (Association Républicaine des Anciens Combattants), il travaille avec Jean Longuet au Populaire de Paris jusqu'en 1920. Ce qui veut dire que les lignes bougent, que les militant-es sont aux prises à des processus objectifs et subjectifs qui les transforment. Le réformiste ne devient pas un bolchevick, il reste Franc-Maçon malgré les directives de Zinoviev, il rechigne à la bolchevisation et ainsi de suite. Bref la rupture réformistes/révolutionnaires est davantage un processus qu'un saut qualitatif. Surtout en 1920 à Tours. D'où d'ailleurs la fameuse bolchevisation pour homogénéiser les partis communistes avec la ligne du Komintern.
Nos métaphysiciens par exemple prétendent aussi que le Congrès de Tours est la dénonciation des accords entre socialistes et radicaux. Quand on sait que c'est le PCF qui souhaite l'élargissement du Front Populaire au parti radical on peut estimer que les rapports de forces et la constitution d'un front antifasciste avait plus de signification pour le cercle dirigeant du parti que des principes éthérés.
Quant à faire de Tours la matrice du Rassemblement populaire de 1936 c'est faire fi de l'histoire, c'est en avoir une vision téléologique. Car entre temps il y a eu la stratégie "classe contre classe", la dénonciation du "social-fascisme" avec lequel, finalement, le parti communiste fera "front" contre le fascisme. La terrible leçon de 1933 en Allemagne a évidemment pesé sur la réorientation stratégique à 180 degrés de l'Internationale, avec le soutien déterminé de Dimitrov et son acceptation modérément enthousiaste de Staline. Que le PCF ait, durant cette période du Front Populaire, renoué avec le drapeau tricolore, honni quelques mois avant, n'est sans doute pas une simple manœuvre tactique mais le révélateur d'une réimprégnation du parti bolchevisé dans le bain national-républicain.
Notons incidemment que cette stratégie de "front populaire" puis de "front patriotique" durant la guerre antihitlérienne n'est guère prisée par certains partis communistes. Comme celui de Grèce qui, de façon ironique pour un parti qui se réclame de Staline, rejoint les trotskistes dans la dénonciation du VIIe Congrès du Komintern comme matrice de l'opportunisme qui aurait ravagé le MCI.
Bien entendu l'impulsion de l'Internationale restait centrale, le nouveau virage de la dénonciation de la "guerre impérialiste" de 1939 à 1941, en témoigne.
Reste que ce Front Populaire restera aux yeux de Maurice Thorez et du cercle dirigeant comme la stratégie archétypale du parti français. Il y a sans doute là un filon à creuser pour mieux comprendre notre histoire.
Contrairement aux excommunications des inquisiteurs "usés, vieillis et fatigués", le parti communiste français n'a rien abandonné. Il a tenté de survivre ce qui est difficile
- quand un parti révolutionnaire ne fait pas la révolution. Constat simplet mais incontournable.
- Quand le monde change, c'est-à- dire quand le capitalisme devient néolibéral, violent et mondialisé et qu'on ne tient pas suffisamment compte de conséquences de cette mutation sur la classe elle-même.
- Quand le soviétisme s'effondre et que l'on n'y comprend rien. Sans autre discours explicatif que la trahison des dirigeants soviétiques (Staline, le thermidorien, pour les trotskistes, Khroutchev, le révisionniste, pour les maoïstes, Gorbatchev, le traître, pour ceux qui n'ont rien vu venir du KO et de ses causes) et l'action de l'impérialisme.
- Quand on s'est laissé endormir par notre propre force qui pourtant était une exception à la règle (avec l'Italie).
- Quand on voit s'évanouir, échouer ou se briser la stratégie radicale des camarades portugais en 1974, la stratégie du "compromis historique" des frères d'Italie ou la révolution avec "empanadas et vin rouge" du camarade Allende et du PC Chilien de Luis Corvalan.
- Quand notre propre stratégie d'union de la gauche autour d'un programme commun aboutit à ce que l'on sait. Comme toujours dans ce cas là ceux qui voulurent chercher les causes internes de cet échec furent renvoyé au machiavélisme de Mitterrand et priés fermement de rester "assis derrière leurs bureaux".
Il ne s'agit pas d'abandons de principes mais de tentatives d'écopage d'un parti en perdition, d'un navire qui sombrait lentement mais sûrement et d'un mouvement communiste international qui faisait de même. Que ces tentatives aient été maladroites, erronées, fausses, anachroniques avec des doses variables de malhonnêteté intellectuelle, nous serons d'accord. Mais surtout s'inscrivaient dans un univers mental d'où était absente la finesse dialectique, l'analyse en quatre dimensions et la question stratégique.
Une prise de position est à cet égard éclairante ou plutôt révélatrice : Alvaro Cunhal, secrétaire général du PCP et éminent dirigeant du mouvement communiste international, déclara en 1974 à propos de la dictature du prolétariat : "Nous abandonnons seulement, uniquement, l’expression de dictature du prolétariat, nous n’abandonnons absolument rien du concept." Le légendaire Cunhal pouvait-il mieux dire le désarroi théorique des partis communistes ?
D'ailleurs que proposent nos donneurs de leçon ? Rien sinon de refaire le parti communiste et le front populaire : ça c'est une réponse au vide stratégique, ça c'est une réponse aux défis du XXIe siècle ? Excusez le néologisme mais le perroquettisme remplace le marxisme, le hoquet nostalgique remplace l'audace novatrice. La politique n'est pas un puzzle éparpillé dont il faut retrouver le dessin originel. C'est au contraire répondre, avec les outils d'analyse et les concepts issus de l'histoire, aux situations nouvelles par des propositions politiques nouvelles. Comme le disait Gramsci à propos de Lénine : il mène "une révolution contre Le Capital".
Ajoutons une note d'actualité à notre point de vue. Les soubresauts identitaires ne régleront rien pour le parti communiste. Soyons clairs. Ce n'est pas sa présence ou non aux présidentielles qui lui permettront de mettre fin à sa marginalisation et son déclin. En revanche comme l'a dit le maire de La Courneuve Gilles Poux "Plutôt que d'être obnubilés par une candidature de témoignage, nous devrions nous mettre résolument au service du mouvement social et Mélenchon a objectivement le socle le plus large dans la gauche de transformation sociale".
Même pas besoin d'être Lénine pour comprendre cela. Et finalement si faire du nouveau devant une situation nouvelle n'était pas la vraie leçon du Congrès de Tours.
Antoine Manessis.
* "le marxisme c'est l'analyse concrète d'une situation concrète"