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                                                        La grippe asiatique 1957

 

Lors du confinement du coronavirus je me suis souvenu d'un épisode familial datant de 1957. J'avais donc sept ans et j'ai attrapé la grippe. Mes parents également. Nous étions tous les trois couchés, avec une forte fièvre, et cela m'a évidemment marqué. Mes souvenirs en sont nets et précis.

La grippe qui avait frappé notre famille et des milliers d'autres avait été baptisé par la presse "grippe asiatique". Elle était originaire de Chine ( régions Guizhou et Yunnan ). Elle se répandit dans le monde en six mois. Un peu plus lente que le Covid mais la mondialisation capitaliste et les transports n'en n'étaient pas au stade actuel.

Cette grippe (type H2N2) a fait entre 25.000 et 100.000 morts en France (il y a débat sur l'évaluation) et 2 millions de morts dans le monde selon l'OMS (700.000 morts du Covid actuellement).

Même si l'on prend le chiffre le plus bas soit 25.000 morts et qu'on le compare à celui des décès dus au Covid (30.000 actuellement)  on se rend compte que l'affaire fut au moins aussi sévère que notre pandémie actuelle. Il y avait 44 millions d'habitants en France en 1957 et il y en a 66 millions de nos jours.

Si nous nous réferons à cette "grippe asiatique", vieille d'une soixantaine d'années, ce n'est pas pour minimiser l'actuelle pandémie ou contester telle ou telle façon de la combattre. C'est affaire de scientifiques et donc sujet de controverses et de recherches, ce qui est bien normal. 

Ce n'est pas non plus pour dénoncer telle ou telle politique face au virus. Ce débat est nécessaire et il est déjà largement traité par les forces politiques et NBH a participé à cet aspect du débat. Aspect central puisque la politique choisie détermine la santé publique et peut avoir des conséquences existentielles pour chacune et chacun de nous. 

Mais ce que nous voulons signaler avec cette exemple historique, finalement très proche, c'est combien notre réaction collective est différente en l'espace de 60 ans. A l'époque un confinement ne fut même pas évoqué, la grippe n'avait pas l'exclusivité médiatique et l'opinion ne ressentit pas cet épisode pandémique comme une grande catastrophe ou une grande menace. Pourtant des jeunes furent touchés, des écoles fermées et les plus de 70 ans étaient...immunisés (virus similaire en 1890).  Le secrétariat d’État à la Santé publique affirme en juin 1957 que ‘l’épidémie de grippe asiatique ne justifie pas d’inquiétude particulière’. 

Question : que révèle ce changement ? 

La mort, plusieurs penseurs ont exprimé cette idée, n'est plus appréhendée de la même façon aujourd'hui qu'hier. Les rites qui entouraient la mort (corbillards, cimetières, brassards de deuil, vêtements noirs ou sombres, veillées funèbres...) disparaissent ou s'allègent. On meurt à l'hôpital plus rarement chez soi. La mort est expédiée et aseptisée pour ne pas avoir à penser et ressentir trop longtemps la décomposition, la destruction et notre propre finitude. Mourir choque. Alors quand survient un événement qui met en avant ce que l'on cherche à cacher, il y a scandale. De l'inacceptable. Et de la peur. Car enfin des virus qui tuent, c'est bon pour les pays sous-développés. Pas ici. Plus maintenant. Bon, d'accord pour la peste noire moyenâgeuse, mais pas à notre époque 2.0. Et pourtant...

Ce changement de perception de la grande faucheuse est sans doute pour quelque chose dans la sur-réaction de nos sociétés occidentales mais pas seulement comme on l'a vu en Chine. Bien entendu des facteurs objectifs expliquent la panique des pouvoirs en place, le confinement d'une partie de la population comme réponse à l'absence d'un grand service public de santé, celui-ci ayant été affaibli et miné délibérément depuis des années par les gouvernements au service du capital. Pas de tests, de masques et d'équipements sanitaires qui auraient permis d'autres voies.

En tous les cas à 60 ans d'écart on est bien obligé de constater une réaction différente du corps social. Il ne s'agit pas de déterminer s'il y a progrès ou régression en ce domaine, cela aurait-il un sens, mais on peut établir un lien entre le développement d'un individualisme grandissant, lui-même produit par l'individualisation, l'atomisation du travail. Le fordisme est mort, vive Uber.

Comment ne pas insister aussi sur le rôle des médias de masse. Ceux-ci furent exclusivement consacrés au coronavirus. Les JT de 20h, qui sont encore très écoutés, ne parlaient et ne montraient que cela : coronavirus de 20h à 21h sur toutes les chaînes. Anxiogènes, répandant un véritable climat de peur voir de panique, les médias épaulaient à leur habitude le pouvoir qui instaurait un véritable état d'exception  dans le pays, les "ausweis" pour aller chercher le pain étant la quintessence de la chose. Mais à la différence du complotisme, et si nous ramenons les choses à la hauteur de la lutte des classes, on voit bien que les Etats ont été dépassé par la situation qu'ils avaient contribué à créer. Certes les classes dirigeantes ont tenté de faire oublier leur responsabilité dans le fiasco à l'aide du racisme (anti-chinois essentiellement : taper sur le plus gros concurrent est toujours utile) et avec des guignolades du genre applaudissements aux fenêtres des professionnels de santé  matraqués depuis un an dans les rues de nos villes sans que cela ne choque vraiment l'opinion...

Nous sommes dans une période éminemment politique dans le sens où les pouvoirs sont mis directement en cause et où leur incompétence est apparue de façon frappante. Pourtant la traduction militante du constat n'est pas évidente. L'auto-exploitation des travailleurs grâce au statut d'auto-entrepreneur, grâce à la tertiarisation de la classe travailleuse, a cassé un type de résistance et d'organisation sociale et politique qui correspondait à la structure de la classe ouvrière de la fin du XIX e siècle et au XXe. Classe qui est en première ligne pour contracter le virus et qui court le plus le risque de se retrouver au chômage mais classe n'ayant ni organisation syndicale de combat (le réformisme domine le syndicalisme CGT comprise), ni organisation politique autonome.

En bref, à une situation au fort potentiel de changement social et politique ne correspond pas forcément une structuration des classes subalternes capable de porter une alternative. Le Liban est la caricature de ce type de situation. Mais rien ne permet de céder au découragement.

Comme l'écrivait Rosa Luxembourg à Luise Kautsky*:

" Vois-tu .../...toute l’histoire m’a appris qu’on ne doit pas surestimer l’action de l’individu. Au fond, ce qui agit et force la décision, ce sont les grandes forces invisibles, les forces plutoniennes des profondeurs et, finalement  tout se met en place, pour ainsi dire de "soi-même". N’interprète pas mal ce que je te dis ! Ce faisant je ne prône pas je ne sais quel optimisme fataliste et commode, destiné à masquer sa propre impuissance, et que je déteste chez Monsieur ton époux précisément. Non, non!.../... L’histoire sait toujours mieux que quiconque comment s’en sortir, alors qu’elle paraît s’être engagée dans une impasse sans le moindre espoir d’issue".

 

Antoine Manessis.

* Luise Kautsky, née à Vienne en 1864, militante socialiste, amie de Rosa Luxembourg, juive elle est déportée à Auschwitz où elle meurt en 1944. Elle fut l'épouse de Karl Kautsky.

 

 

 

 

 

   

 

Elle a mis la lumière sur "une classe entière de professionnels des services à la personne qui sont la plupart parfaitement exploités – bien que différemment de l’ancienne classe ouvrière telle que la concevait l’imaginaire marxiste." "En première ligne : c’est elle qui a le plus grand risque de contracter le virus au travail et c’est elle aussi qui court le plus le risque de se retrouver au chômage, sans la moindre ressource, à cause du ralentissement économique imposé par le virus", souligne David Harvey

Selon lui, l’épidémie est partie pour durer, sous différentes formes. Nous continuerons à vivre avec des masques, sans nous embrasser ni nous serrer la main et nous connaîtrons peut-être de nouveaux confinements. De même, les technologies sont vouées à prendre plus de poids dans nos vies. Enfin, la situation économique devrait s’empirer, alors que le désastre écologique guette. Slavoj Žižek ne sombre cependant pas dans un récit apocalyptique.

Il pense qu’"alors que l’épidémie se propage dans le monde entier, nous devons comprendre que les mécanismes de marchés ne suffiront pas à endiguer le chaos et la faim à venir". Selon lui, "nous devrions simplement, fondamentalement, court-circuiter les logiques de rentabilité et nous fixer pour principal objectif de rendre nos sociétés capables, en de telles circonstances, de mobiliser leurs ressources, pour continuer à fonctionner." 

 pour Slavoj Žižek , la solution réside dans "une nouvelle forme de ce qui était appelé jadis communisme", "au sens du slogan bien connu de Marx : "De chacun selon ses capacités, à chacun selon ses besoins"

Comment le communisme a-t-il survécu après le 20e siècle ? Comment s’est-il réinventé ? Ôtons de l’équation ses formes étranges qui se sont manifestées en Corée du Nord et à Cuba et ce qui reste, c’est un assemblage unique de communisme autoritaire et de capitalisme le plus implacable. Par exemple, le Vietnam et la Chine. Pour moi, ce communisme est terminé, sans objet. Alors ne me parlez pas de ce communisme-là.

 Je crains, pour ma part, une « barbarie à visage humain » – une survie qui aurait recours à des moyens inhumains qui nous seraient imposés avec regret, voire avec sympathie, sur la base de conseils d’experts, qui seraient accompagnés de messages qui saperaient la pierre angulaire de notre éthique sociale. Par exemple, comment prendre en charge les personnes âgées et ceux qui sont plus vulnérables ? Ils doivent être secourus de manière inconditionnelle et sans prise en compte des coûts.

un facteur interne aux sociétés agressées, qui est l’attachement à la vie que conforte l’individualisme grandissant ».

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