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La domination économique, politique, militaire, technique, scientifique de l'impérialisme étasunien a pour conséquence la domination de la langue anglaise (américaine). L'impérialisme linguistique est une conséquence de l'impérialisme tout court. En effet, contrairement au discours véhiculé parfois, ce n'est pas que l'anglais serait "facile"qui fait son succès. Claude Hagége, linguiste, professeur honoraire au Collège de France, et bien d'autres encore ont souligné la grande difficulté d'apprentissage de la langue anglaise.
Ce processus se vérifie dans l'histoire. Sans aller trop loin, le français fut imposé aux pays africains colonisés par la France. Le latin fut imposé à tout l'Empire Romain au point d'avoir été la racine de plusieurs langues européennes. Et l'espagnol aux conquêtes espagnoles en Amérique ou le portugais au Brésil colonisé par Lisbonne.
Constater ce fait historique n'implique pas de rester inerte devant le phénomène. En effet une langue porte une forme de pensée particulière. Ainsi face à un impérialisme qui, comme l'a écrit Bernard Cassens, "incorpore la maîtrise des esprits, référents et signes culturels, particulièrement linguistiques", il nous faut donner du sens à une résistance qui n'apparaisse pas réactionnaire et conservatrice.
Par exemple indiquer que l'anglais est une langue des "élites". En effet il ne faudrait pas croire que l'usage du globish, la compréhension d'une chanson en anglais suffisent pour faire partie du club des happy few * . Ce qui est demandé pour les postes à responsabilité c'est l'anglais comme langue maternelle (English mother tongue ou English native speaker), éliminant ainsi les candidats ayant l’anglais comme langue d’étude, même à un excellent niveau. Y compris dans les institutions de l'Union Européenne où pourtant seul 1% des la population a l'anglais pour langue nationale...
Son usage a bien une intentionnalité néo-coloniale. Ainsi comme l'écrit David Rothkopf, directeur général du cabinet de consultants Kissinger Associates "Il y va de l’intérêt économique et politique des États-Unis de veiller à ce que, si le monde adopte une langue commune, ce soit l’anglais et que, s’il s’oriente vers des normes communes en matière de communication, de sécurité et de qualité, ces normes soient américaines et que, si ses différentes parties sont reliées par la télévision, la radio et la musique, les programmes soient américains ; et que, si s’élaborent des valeurs communes, ce soient des valeurs dans lesquelles les Américains se reconnaissent." Bref comme disait Jean Ferrat :" N'allez pas croire qu'ils s'en tamponnent, S'ils nous transforment en colonie, Pour être encore en haut de l'affiche, Je commence à penser en angliche"(Pour être encore en haut de l'affiche).
Ce qui d'ailleurs démontre que la question de la langue engage toute une démarche anthropologique complexe. Sans s'engager dans une réflexion théorique, remarquons que sur ce front interviennent toutes les armes du soft-power ** de l'impérialisme étasunien. Il n'est pas dépourvu de sens que la quasi-totalité des commerçants souhaitent Happy Christmas and Merry new year dans ou sur leurs vitrines plutôt que Joyeux Noel et Bonne année. Certes la chose donne souvent un résultat ridicule mais l'invasion de l'anglais a une signification. D'autant plus préoccupante que les mairies, les collectivités territoriales, les entreprises, grandes ou petites, font de même. Pourquoi ? On peut répondre en prenant un exemple sur un autre terrain. Pourquoi les gens vont-ils au McDo ? La qualité gastronomique de la chose peut être éliminée d'office. Le prix aussi n'est pas un argument le McDo c'est cher. Pour la santé n'en parlons pas, beaucoup de graisses et beaucoup de sucre et beaucoup de sel : bref de la junk food ***. Donc c'est autre chose. C'est dans la tête, ce sont des images inconscientes qui s'imposent à notre esprit. C'est être américain, cow-boy, marine, agent du FBI, Will Smith, John Wayne, Brad Pitt, De Niro ou Clooney. C'est être américaine, un canon universel de la séduction, une espionne de la bonne cause, Marilyn Monroe, Scarlett Johansson, Julia Roberts ou Meryl Streep. C'est être l'espace d'une heure en Californie ou à New-York. C'est être ce que l'on nous montre que nous devrions être dans les pubs, les séries et dans les films. Et qu'évidemment nous ne sommes pas. Mais ce qui est très fort dans le soft power étasunien c'est qu'il rend ringard ce que nous sommes et rend sexy ce que nous ne seront jamais mais que nous essayons d'être avec le McDo, le globish, les vêtements et la musique ( à chaque classe sociale ses références, l'essentiel c'est qu'elles soient américaines). Et à la fin, c'est combien plus sexy de dire call au lieu d'appel, deal au lieu de contrat, feddback au lieu d'impressions, process au lieu de processus, flyer au lieu de tract....
"Hollywood, centre névralgique de l'idéologie américaine" Slavoj Zizek
Cet imaginaire, fabriqué de longue date, ne peut être combattu que par un autre imaginaire. Certainement pas avec des râleries, aussi pertinentes soient-elles dans le fond mais qui finissent par paraître poussiéreuses et passéistes car justement non étayées par un contre-imaginaire, un autre rêve, un autre modèle. Ce qui est inquiétant c'est que Coca-Cola ou McDo métastasent partout y compris à Pékin, Hanoï ou Moscou, Rio ou Pretoria avec ce qui va avec. Aussi les progressistes devront s'atteler à cette tâche immense : construire et faire vivre une mythologie capable de concurrencer celle d'Hollywood. Il y a du boulot sur la planche mais au moins ayons conscience du problème, cela nous évitera davantage de déconvenues. Pourquoi pas un "socialisme de la séduction" **** ? Rien ne devrait nous empêcher d'être habile, si ?
Antoine Manessis.
* Les quelques heureux, les quelques privilégiés
** La puissance d'influence, de persuasion, qui se fait par des moyens non coercitifs,
*** Bouffe de merde
*** Référence au Capitalisme de la séduction de Michel Clouscard