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L'Irak est traversé par une crise sociale et politique d'une extrême gravité. C'est dans un pays brisé par la guerre que les Etats-Unis ont mené contre lui, par des années d'ingérences et de guerres, que depuis octobre un vaste mouvement populaire secoue l'Irak. Un seul chiffre pour mesurer l'ampleur de la catastrophe provoquée par l’impérialisme étasunien : la revue scientifique américaine Plos Medecine a dénombré 500.000 victimes irakiennes (60 % des victimes -civiles et militaires-  ont péri durant les combats, 40 % sont mortes des conséquences du conflit) et 4483 soldats étasuniens tués. Le pays est l'un des plus riches en pétrole du monde or un habitant sur cinq vit sous le seuil de pauvreté et 410 milliards d'euros ont été détournés ces 16 dernières années, soit deux fois le PIB... La corruption règne sans partage et la déliquescence des services publics - le pays fait face à une pénurie chronique d'électricité et d'eau potable- rend la vie infernale. Pour compléter ce tableau effrayant, résultat rappelons-le de l'intervention militaire étasunienne, le chômage massif des jeunes (un moins de 25 ans sur quatre est sans travail), explique la situation explosive actuelle.

A cette situation sociale s'ajoute la lutte d'influence géopolitique entre les Etats-Unis et l'Iran. En effet ces deux pays en conflit règlent leurs comptes en Irak et tentent, de compromis en affrontements, d'affermir leur domination motivée pour les Etats-Unis par le pétrole et la situation géopolitique, pour l'Iran, marqué par la guerre Irak-Iran, par la protection de sa frontière-Ouest. Aussi, l'influence de l'Iran très pesante sur le pays, est également dénoncée par les manifestants. Pour la première fois, des drapeaux de la République islamique ont été brûlés par des manifestants dans les villes du Sud, pourtant à majorité chiite. Le leader chiite Moqtada Sadr soutient d'ailleurs les manifestants. Ainsi que le Parti communiste irakien qui s'est allié à lui lors des dernières élections. Une première en Irak. Une alliance des Irakiens pour les réformes, qu'ils soient laïcs comme les communistes, ou du courant islamiste. "Nous ne sommes pas surpris par cette alliance car depuis plus de deux ans nous combattons ensemble dans toutes les provinces contre le confessionnalisme" a déclaré un responsable sadriste. Le mouvement de protestation vient de loin. Déjà en juillet 2015 à l'initiative de militants issus du syndicalisme, de la société civile, auxquels se sont joints ensuite les sadristes, les Irakiens ont réclamé des réformes, la lutte contre la corruption et l'amélioration des services publics. Raëd Fahmi, secrétaire du Parti communiste irakien déclarait "L'important, c'est que cela a permis à des gens du mouvement islamiste et à des laïcs de travailler ensemble".

Cette nouvelle explosion sociale, commencée en octobre 2019, semble spontanée et non téléguidée par des intérêts politiques ou religieux. Plusieurs courants s'expriment au sein du mouvement social : la génération "bulldozer", qui va de 14 à 23 ans. Ils n'ont pas de leaders, pas de programme, pas d'idéologie et ils s'organisent sur les réseaux sociaux. Ils n'ont pas connu le régime baasiste de Saddam Hussein, ni la guerre impérialiste mais ses conséquences. Ils n'ont donc connu qu'un Irak traversé par la "milicisation", la systématisation de la corruption et surtout l'absence de toute perspective de travail et de vie digne. Il y a aussi ceux que l'on appelle là-bas les "Lénine sans parti" : ce sont les journalistes, les professeurs, les élites intellectuelles  qui sont engagées dans le mouvement et essayent de transformer la contestation en mouvement social structuré. Et bien sûr l'opposition politique composée de différents acteurs, les sadristes, les anciens baasistes ou les communistes dont les députés ont démissionné en protestation contre la répression. Une répression d'une violence extrême qui est le fait des forces de police et de milices. Le bilan est de 450 morts et des milliers de blessés. "Ils essayent de nous faire peur par tous les moyens, mais on reste dans la rue" déclarent des manifestants aux journalistes sur place. Aujourd'hui dimanche, après le massacre de Sinak la nuit de vendredi à samedi où des miliciens ont attaqué et tué 25 manifestants, des milliers d'Irakiens ont manifesté malgré le climat de terreur qui règne sur le pays. 

Le grand ayatollah Ali Sistani, figure respectée du chiisme irakien, demande des réformes "obligatoires" et le premier ministre Adel Abdel Mahdi a démissionné. Mais, si ces manifestations et leur répression sanglante et sauvage sont parvenues à desserrer l'étau des confessionnalismes religieux, l'avenir reste fort incertain et les ingérences, étasunienne ou iranienne, ne contribuent pas sortir l'Irak de la tragédie où l'intervention américaine l'a plongé.

 

 

 

Antoine Manessis.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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